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Nous savons bien ce qu’il faudrait pour obtenir des élections tous les résultats que pourraient désirer les amis sincères de la monarchie constitutionnelle. Qui ne le sait pas ? Mais, hélas ! le moyen est devenu tellement impossible, il serait si ridicule d’y compter, qu’on n’ose plus en parler. Il semble en effet qu’il ne soit plus permis à un homme sérieux d’arrêter sa pensée sur aucun projet de réunion entre les hommes éminens de notre pays. À la vérité, hier encore (car six ou sept ans ne sont pourtant pas un siècle) ils siégeaient dans le même cabinet, ils servaient la même politique, ils consolidaient, en la contenant, la révolution de 1830, ils préparaient d’une main sûre et habile l’avenir de la France. Qu’importe ? Aujourd’hui nos hommes d’état sont comme des oiseaux de proie : il faut que chacun se perche seul sur les rochers escarpés du pouvoir. La France doit-elle se féliciter de cette humeur solitaire ? Il est facile de répondre en considérant l’état du pays, en comparant ce qu’il était et ce qu’il a fait au milieu des terribles difficultés d’une révolution encore brûlante, avec ce qu’il fait et ce qu’il est aujourd’hui après onze années de repos.

Mais, encore une fois, nous ne voulons pas insister sur une pensée qui, vraie et seule vraie, n’en est pas moins aujourd’hui d’une réalisation impossible, et qui est par là même frappée de ridicule. Notre politique ne sera, pendant long-temps encore, qu’une suite de combats singuliers, de véritables duels ; les combattans peuvent changer, la forme du combat sera la même. Il faut se résigner. Est-il moins vrai que dans cette situation les élections générales sont un véritable danger ? Chaque parti, croyant y apercevoir une question de vie et de mort pour lui, abdiquera tout scrupule et ne songera, vaille que vaille, qu’à la victoire du moment.

Quoi qu’il en soit, nous espérons du moins que dans aucun cas, quoi qu’il arrive, nul ne donnera à la couronne le conseil de proclamer la dissolution de la chambre dans un moment où cette mesure paraîtrait décrétée ab irato. Ce serait là une provocation imprudente. Les conséquences pourraient en être des plus fâcheuses ; il est aisé de le voir.

Nous disions quoi qu’il arrive, car, sans désirer de crise ministérielle, il est impossible de ne pas la regarder comme probable. Le parti conservateur a paru vouloir la préparer lui-même, tant sont graves les difficultés qu’il a suscitées au ministère en opposant pour la présidence de la chambre la candidature de M. Lamartine à la candidature de M. Sauzet. C’était là briser la phalange ministérielle, car, en supposant même, ce qui était un rêve, que tout le centre droit eût adopté le nouveau candidat, toujours est-il que le cabinet aurait perdu l’appui de MM. Dufaure et Passy.

La gauche, il faut être juste, a eu raison de saisir au vol un moyen que ses adversaires lui offraient. Si la phalange ministérielle veut se briser, est-ce à l’opposition d’y mettre obstacle ? Mais la gauche elle-même n’est pas suffisamment disciplinée ; elle aussi a poussé, dit-on, les choses trop loin et manqué d’habileté. Dans son intérêt, elle aurait dû laisser le débat aux conservateurs, elle aurait dû garder le secret de son vote final, laisser concevoir des