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l’association allemande. L’Angleterre fait ce que nous ne tenterons pas même de faire, il est vrai, gravement occupés que nous sommes de la question de savoir si nous aurons vingt mille électeurs de plus ou de moins, et si la France ne court pas à sa perte parce qu’un aide-de-camp ou un procureur du roi peut être nommé député. En attendant, l’Angleterre fait ses affaires, et la Russie voit arriver à maturité les projets immuables de sa lente et ferme politique. Les deux géans grandissent, chacun à sa guise et selon les principes de sa nature. De bonne foi, grandissons-nous en proportion ? Ce que l’Angleterre et la Russie pourront tenter un jour (et ce jour peut se lever demain), l’Europe le sait. Il n’y a guère qu’un peu plus d’un demi-siècle que la Russie nous a appris, sur le terrain sanglant de la Pologne, quels pactes elle sait proposer à ceux dont elle veut faire des complices. Et comme s’il lui tenait à cœur de ne pas laisser effacer ces souvenirs, elle nous a donné un nouvel échantillon de ses transactions politiques dans le traité du 15 juillet. Un jour ou l’autre l’Angleterre et la Russie pourraient bien, en secondant nos goûts pacifiques, s’attribuer réciproquement en Orient, sans coup férir, par un touchant accord, le lot que chacune d’elles regarde comme une nécessité de sa politique. L’Angleterre convoite l’Égypte comme la Russie Constantinople. Il faudrait ne jamais avoir déployé une carte de géographie et ne rien connaître des tendances et de la situation économique de l’Angleterre pour en douter. Si ce partage amical se fait un jour, nous calculerons d’abord par a + b ce que coûte une grande flotte, une armée formidable ; puis nous nous consolerons de l’évènement comme d’un fait accompli, et enfin nos statisticiens achèveront d’endormir nos douleurs en nous prouvant clairement, et surtout longuement, qu’au bout du compte notre commerce avec l’Égypte et la Turquie est bien peu de chose comparé avec notre commerce intérieur.

Mais, pour en revenir à notre point de départ, est-ce à tort que des hommes graves, des hommes d’expérience, serviteurs dévoués de la monarchie et du pays, ne se sentent pas rassurés sur notre situation extérieure et intérieure ? est-ce à tort qu’ils s’alarment, qu’ils redoutent l’avenir, qu’ils déplorent ces tristes et mesquines querelles politiques qui troublent la vue des hommes les plus éclairés, et en consument les forces dans des combats où la victoire est presque aussi fâcheuse et aussi embarrassante que la défaite ?

Les préoccupations des hommes impartiaux et consciencieux sont d’autant plus douloureuses, qu’une nouvelle et grave circonstance vient s’ajouter à la triste situation que nous ont faite les passions politiques et l’égoïsme des partis. Nous voulons parler des élections générales. Il est évident pour tout le monde que ce grand évènement ne peut être long-temps ajourné. Qui oserait, dans la situation où nous sommes, épuiser le droit de la chambre et la laisser vivre jusqu’au jour où, quelles que fussent les circonstances politiques, force serait d’en convoquer une nouvelle ? Encore, si la chambre actuelle offrait une majorité compacte, si elle pouvait être à la fois la cause et le soutien d’un gouvernement fort, d’une administration qui, tout en étant prudente et contenue,