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REVUE. — CHRONIQUE.

signifient les craintes que la Porte affecte à l’endroit de la Grèce, et les menaces qu’elle dissimule avec peine, et toutes ces intrigues dont Constantinople est le théâtre et dont elle sera un jour la victime ? En présence de tous ces indices, et lorsqu’il est évident pour tout le monde que l’ébranlement donné au système oriental par l’expédition de Beyrouth n’a été ni un évènement passager, ni un accident sans suites, n’a-t-on pas raison de redouter des faits plus graves encore, et peut-on croire que le printemps ne fera pas éclore en Orient de nouvelles luttes et de terribles complications ?

N’est-il pas évident que la question du commerce du monde agite réellement les esprits, et qu’en particulier elle domine impérieusement les conseils du royaume-uni ? Nous l’avons souvent dit, nous ne craignons pas de le répéter, l’Angleterre se trouve, à cet égard, sur une pente où rien ne peut l’arrêter. Le système prohibitif a porté des fruits que les amis de la paix trouveront un jour fort amers. La Belgique étouffe ; l’Angleterre, forte et prévoyante, ne veut pas étouffer. Bon gré, mal gré, il lui faut des débouchés, de vastes marchés, des marchés de plus en plus étendus. Dût-elle mettre le monde en feu, elle ira droit à son but, car une lutte violente vaudrait encore mieux qu’un dépérissement honteux, que le contre-coup, inévitable chez elle, d’une révolution intérieure. En Espagne, en Italie, en Égypte, en Syrie, dans l’Inde, en Chine, en Amérique, dans l’Australie, partout l’Angleterre agit, par l’adresse, par la force, dans le même but, dans les mêmes vues, sous l’influence du même intérêt. Que lui importe, à elle, puissance insulaire, conservant toute son originalité et sa vie propre, l’ordre politique de ces pays et toutes les questions qui s’y rattachent, questions dont, à tort ou à raison, nous nous préoccupons si fort ? L’influence de l’Angleterre, et par là le triomphe de l’industrie et du commerce anglais, voilà la pensée dominante du gouvernement britannique, voilà le but réel de ses efforts. Il soutiendra ici le despotisme, là le régime constitutionnel ; ici il excitera les contre-révolutionnaires, ailleurs les démagogues ; ici il fera hardiment une conquête sous le prétexte le plus frivole, ailleurs il mettra aux prises deux chefs rivaux ; il peut également inspirer la guerre et la paix, la conciliation et la violence. De là toutes ces accusations de perfidie qui sont aujourd’hui une sorte de banalité dans le langage de la politique. À vrai dire cependant, l’Angleterre ne trompe personne, elle ne trompe du moins que ceux qui veulent bien fermer les yeux et les oreilles, ne pas voir les faits qu’elle étale devant l’univers, ne pas entendre ce que les Anglais disent tout haut au sein du parlement, sur les hustings, dans les meetings, dans leur journaux, dans tous leurs ouvrages sur l’économie nationale et l’industrie de leur pays. Londres compte aujourd’hui près de deux millions d’habitans, la population de la Suisse. Ce fait seul suffirait à dessiller les yeux d’un homme intelligent. C’est là une donnée dont il ne serait pas difficile de déduire toute la situation économique et toutes les nécessités politiques de l’Angleterre. L’Angleterre fait ce que la Belgique ferait si elle en avait le pouvoir. Elle fait en grand et souvent, il est vrai, d’une manière violente et déloyale ce que la Prusse a fait avec une grande habileté, sur des proportions plus modestes, en organisant