Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/1026

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1022
REVUE DES DEUX MONDES.

et l’honneur de ceux qui sont ses représentans. On ne se demande plus si l’on fera entrer les personnages d’un drame à la façon de Shakspeare ou à celle de Racine, si on regardera la langue comme une arche sainte dont on ne peut pas ébranler une pierre, ou comme un édifice dont chaque génération doit agrandir ou diminuer l’enceinte, suivant ses besoins ; on se demande si ceux qui parlent au public peuvent se jouer impunément de sa bonne foi et de sa confiance, en corrompant son jugement par des œuvres dont ils sentent eux-mêmes les défauts. Le goût a sa conscience comme la probité ; ceux qui vont à l’encontre des lois que cette conscience prescrit, par négligence, par paresse ou par désir de lucre, manquent à leurs devoirs d’écrivains. Quand on a sous les yeux des œuvres comme celles qui se multiplient si déplorablement depuis quelques années, est-ce de l’art lui-même qu’il faut parler ? Non, c’est à l’artiste qu’il faut s’en prendre. Nous lui dirons : Si c’est aux bénéfices de l’industrie que vous visez, servez l’industrie elle-même, creusez des canaux, abattez des forêts, défrichez des landes, enfin soumettez le domaine de la matière à toutes les tortures que l’amour du gain peut suggérer ; mais épargnez les jardins de l’imagination : ne cueillez pas, pour les vendre, lorsqu’ils sont encore privés de leurs parfums et de leurs couleurs, les beaux fruits qu’il faut apprendre à laisser mûrir.


G. de Molènes.