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LITTÉRATURE AMÉRICAINE.

même. Ce serait un mauvais précédent pour ce peuple que de se trop hâter de faire l’apothéose de ses écrivains en renom, et peut-être conviendrait-il que les tribunaux littéraires d’Amérique s’habituassent à entendre quelque avocatus diaboli venu de l’Europe avant de passer à la canonisation de leurs saints.

Et qu’y a-t-il à cela de déraisonnable ? On peut laisser après soi la réputation d’un fort bon général sans avoir approché durant sa vie de la réputation d’un César ou d’un Napoléon ; on peut s’illustrer comme philosophe, comme homme d’état, sans atteindre à la hauteur d’un Montesquieu, d’un Richelieu. Un Américain ne doit éprouver aucun embarras à avouer que, dans la poésie, dans les arts, ses compatriotes ont encore beaucoup à faire avant d’avoir des noms à citer à côté des noms illustres de l’Europe. Leur fierté ne saurait souffrir de leur infériorité à cet égard, car ils ne font que d’entrer dans la carrière, et ils ont besoin, comme tous les autres peuples, du bénéfice du temps pour pouvoir prendre rang dans les annales de la littérature.

Les Américains jaloux de la gloire de leur pays pourraient se borner à exposer les circonstances défavorables qui ont dû arrêter son essor littéraire. Ces circonstances, du reste, sont évidentes par elles-mêmes. Une société jetée violemment hors de ses anciens fondemens, occupée tantôt à faire triompher par la force la cause de son indépendance, tantôt à mener à bout la tâche encore plus difficile de sa réorganisation politique, livrée à un mouvement matériel sans exemple, travaillée par une agitation permanente, une telle société n’a guère pu vaquer aux tranquilles occupations des lettres. Ce qui doit étonner, en songeant à toutes ces causes si diverses, c’est que l’Amérique ait quelque chose qui ressemble à une littérature, et non pas qu’elle soit comparativement pauvre en auteurs de mérite.

Il s’en faut de beaucoup en effet que l’Amérique soit absolument privée d’illustrations scientifiques et littéraires. On connaît les ouvrages remarquables, à des titres si différens, de Washington Irving, de Cooper, de Jefferson, et ceux de Washington lui-même, dont M. Guizot nous a donné tout récemment une édition française. Il y a là de quoi faire honneur à une société calme, forte et régulière, et dont l’organisation politique remonterait à une époque beaucoup plus reculée. Nous sommes, sur ce dernier point, presque de l’avis de M. Vail, qui a fait incontestablement œuvre de bon citoyen en voulant révéler à l’Europe tout ce que la littérature américaine peut contenir de richesses. Nous devons lui dire toutefois que ce qui attire