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dix coups de fusil malgré les cris du sergent. Elle ne tomba point. Les soldats les plus éloignés coururent pour lui couper le passage ; un d’eux était sur le point de l’atteindre. Ce danger l’excite encore, mais sa robe s’embarrasse dans un branchage ; elle tombe, se dégage, retombe, on court, on la prend. On vit alors sa robe tachée de sang. Elle avait trois balles dans les reins. Le sergent s’approcha, et dit de la part du capitaine qu’on ne lui fit d’autre mal et la menât au quartier. Comme elle était évanouie, on croisa des fusils, et on l’emporta sur ce brancard.

Les soldats, sauf les quelques hommes qui s’étaient détachés pour escorter la brigande, retournèrent sur leurs pas. Harassés de fatigues, et à peu près satisfaits de cette capture, ils ne cherchaient plus qu’un abri pour se reposer. La terre était partout trempée de pluie. Ils se rapprochèrent en causant de l’endroit où ils étaient d’abord. Des chevaux passèrent au galop. C’étaient le représentant, le chef de brigade et quelques gendarmes qui regagnaient les postes.

Tandis que cette scène s’était passée, le marquis, étonné d’abord de se trouver seul, avait appelé sa fille, de trop loin heureusement pour être entendu. Il pensa qu’elle était sortie pour parer en quelque chose au dénuement où ils étaient ; et, comme le froid lui devenait insupportable, il rôdait dans sa loge, cherchant çà et là les moyens de faire du feu. Il avait une longue habitude des chaumières du Bocage, et il fouilla d’abord le foyer ; les cendres étaient froides, mais on y avait laissé des débris de bourrées. Il tâta le long de la cheminée, trouva le sabot où l’on met les allumettes, et avec les allumettes l’amadou et le briquet du bûcheron. Il embrasa l’amadou dans un morceau de linge qui prit feu ; il s’accroupit, attisa, souffla, et fit tant, avec mille peines, qu’il parvint à mettre le feu aux feuilles sèches, puis il s’établit tout réjoui devant l’âtre. La flamme monta bientôt avec des flots de fumée.

Un groupe de quatre ou cinq soldats venait de s’engager sous des ajoncs robustes et s’occupait d’étendre les capotes sur un terrain plus sec pour se coucher, quand l’un d’entre eux, levant la tête en maudissant la pluie, hésita un moment, et dit enfin qu’il voyait un filet de fumée qui partait de quelque trou de brigand. — Grand bien lui fasse ! dit le caporal ; je ne suis pas en état de le déranger. — Cependant l’espérance d’un meilleur gîte les fit tous se lever et se remettre en quête.

Ils se dégagèrent avec peine du fourré et arrivèrent aux amas de fagots qui cachaient la hutte ; mais ils cherchèrent inutilement de