Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/942

Cette page a été validée par deux contributeurs.
938
REVUE DES DEUX MONDES.

Flaive était déjà parti. Le marquis, fatigué et assez mécontent, demanda aussitôt du feu pour sécher ses pieds ; mais Paulet, qui savait la guerre, avertit Mlle de La Charnaye que la fumée trahissait les caches et attirait les patrouilles. Il s’excusa tout haut comme il put sur ce qu’il n’avait rien de ce qu’il fallait. Ils se consultèrent ensuite, lui et Mlle de La Charnaye, tandis que le marquis s’arrangeait pour dormir. Mlle de La Charnaye, épuisée par les émotions de la route et l’abandon où elle se voyait, se mit à fondre en larmes. Paulet avait le cœur brisé. Il pensa qu’il serait moins douloureux à la jeune fille de se trouver au milieu de gens du pays ; il lui dit qu’on venait d’établir un refuge à peu de distance, et qu’il les y conduirait le lendemain en prenant toutes les précautions convenables ; que la contrée, fouillée en tous sens, était à feu et à sang ; que les bleus étaient sans doute à Vauvert, et qu’elle serait du moins plus rassurée au milieu de ses paysans. Il sortit en ajoutant qu’il reviendrait les prendre au point du jour.

Le lendemain, on annonça au marquis qu’on allait se mettre en route comme on pourrait pour rejoindre l’armée, en lui faisant espérer qu’on trouverait plus tard quelque monture, quelque voiture à bœufs. — Assurément, dit-il avec gaieté, si l’on sait que j’ai fait à pied ces quarante lieues, l’armée me saura gré de ce pèlerinage. — On partit. Paulet frayait le passage une hache à la main, abattant les branches et maudissant les mauvais chemins qu’il fallait prendre.

On arriva au refuge trois ou quatre heures après la tombée de la nuit. Paulet prit les devans pour répondre aux qui vive des paysans et les prévenir, puis il revint chercher les voyageurs avec un flambeau de résine. Ces refuges étaient des habitations établies au cœur de bois épais et faites de piquets et de palissades ; les troncs d’arbres servaient de colonnes, et les branches de toits ; des charrettes acculées et tendues de toiles abritaient toute une famille ; des villages entiers se sauvèrent ainsi dans cette terrible guerre. On a retrouvé de ces refuges qui étaient devenus de véritables villes et où l’on voyait des vestiges de places et de rues tracées parmi les arbres.

On mit le marquis dans une hutte un peu écartée, et Paulet, avant de s’en aller, promit à Mlle de La Charnaye qu’il reviendrait le lendemain avant le jour lui donner des nouvelles et lui dire s’il avait trouvé un asile plus sûr, ou s’il y avait quelque moyen de gagner Bressuire. Mlle de La Charnaye ne put reposer un instant au milieu de cette population éplorée. Vers minuit, il y eut une alarme. De hardis paysans, qui se glissaient jusqu’aux avant-postes des bleus,