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goutte d’eau à ses lèvres. Enfin, quittant la caravane et forçant sa marche, il parvint à Toujourra exténué de fatigue. Quelques jours après, il s’embarqua pour Zeïla et Barbara, où il comptait trouver une barque qui put le conduire à Aden. Zeïla est un point important de cette côte : quatre mauvais canons la défendent. Elle a deux ports, l’un pour les embarcations du pays, placé sous la ville ; l’autre, pour les gros navires, situé un peu plus au sud, et où des bâtimens de trois cents tonneaux trouvent un bon mouillage. Cinquante Bédouins, armés de fusils à mèche, composent la garnison de Zeïla. Naguère ce port relevait du gouverneur de Moka, qui y percevait un tribut ; mais dans l’état de désorganisation où se trouvent aujourd’hui les pouvoirs de l’Yémen, Zeïla demeure abandonnée à elle-même. C’est un marché intéressant où les caravanes de l’intérieur de l’Afrique versent quelques marchandises. Cependant, sous ce rapport, Zeïla est bien inférieure à Barbara, qui, d’octobre en février, offre le spectacle d’une foire importante, fréquentée par les banians de l’Inde. Dix à douze gros bricks sous pavillon anglais viennent y prendre des cargaisons, et l’on assure que ce commerce donne lieu à des transactions nombreuses, source d’un bénéfice considérable. C’est l’Harrar qui approvisionne le marché de Barbara.

Arrivé à Aden, le 2 mai, M. Rochet ne semble pas y avoir éprouvé les tracasseries auxquelles un autre Français, M. Lombard, s’est trouvé récemment en butte. Le capitaine Jenkins, commandant en second de la place, se montra bienveillant et affable à son égard. La ville d’Aden est défendue dans une portion de l’enceinte par des rochers volcaniques qui forment un rempart naturel. Le gouverneur, le capitaine Henze, y a ajouté au nord une muraille crénelée. Une citadelle imposante, placée sur un îlot, complète ce système de défense. La population d’Aden est de six cents ames ; la garnison anglaise compte deux mille soldats. Avec une force pareille et une puissante artillerie, cette ville n’a rien à redouter des escarmouches des Arabes. Le plus cruel ennemi de l’occupation anglaise, c’est le climat. Les fièvres des tropiques déciment les cadres des régimens ; l’affreuse plaie de l’Yémen ulcère les jambes des soldats. C’est à peine si l’on parvient à se procurer pour boisson une eau malsaine et saumâtre. Hors des murs de la ville, il n’y a de sûreté pour personne : les Arabes massacrent impitoyablement les promeneurs isolés. Conserver Aden est donc pour l’Angleterre une tâche laborieuse ; mais ce point importe à sa domination ; et l’on peut être assuré qu’elle s’y maintiendra contre tous les obstacles.

Après un court séjour dans cette forteresse anglaise, notre voyageur