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l’embarras des premières paroles qu’elle devait dire, la firent encore fléchir. Elle demeurait sur le pied de son lit dans une sorte d’agonie. Colombe rentra doucement, et, la voyant en cet état, courut à elle, la pressant, disant que tout était prêt, qu’il n’y avait pas une minute à perdre. Mlle de La Charnaye se redressa, animée d’une inspiration subite. — Où nous mène Paulet ? — À la serre du parc. — Seul ? — Il a tout arrangé pour que la route soit sûre. — Essayons. À la volonté de Dieu !

Elle prit dans une armoire un paquet de hardes qu’elle ordonna Colombe de porter au marquis à la place des vêtemens qu’il avait quittés la veille. Elle se mit ensuite à genoux sur son prie-dieu, et y resta quelques instans ; elle mit en ordre certains objets, choisit des papiers, ferma des coffres, et entra chez le marquis.

Le jour ne pointait pas encore ; M. de La Charnaye dormait profondément, elle le réveilla d’un ton doux et ferme. — Mon père, il faut partir ; M. de Sainte-Flaive, qui n’a point suivi ces messieurs, envoie tout exprès vous demander si vous avez encore le désir de rejoindre l’armée. — Oui, certes, dit le marquis à demi réveillé. — Il faut donc nous mettre en route, il nous attend jusqu’à ce soir ; c’est à huit lieues d’ici. Puis M. de la Frette est mort. — Il a été tué ? Oui, mon père. — Le marquise se mit sur son séant et joignit les mains. — Encore un, ô mon Dieu ! que vous recevrez sans doute dans votre gloire.

Le temps pressait et Mlle de La Charnaye en sentait tout le prix. Le moindre bruit au dehors la faisait défaillir. — Il est, ce me semble, un peu grand matin, dit le marquis. — Il fait grand jour, dit Mlle de La Charnaye. Elle avait réponse à tout ; elle avait tout préparé ; elle montrait tout à coup un calme, une force d’ame, une présence d’esprit, une habileté admirables ; elle trouvait à point les prétextes, les expédiens ; elle alla jusqu’à expliquer qu’il était convenable de paraître en habits de deuil à cause des pertes de l’armée, et qu’elle n’avait pu s’en procurer que chez un des fermiers, parce que monsieur le curé n’en avait point ; que cette nouvelle était tout-à-fait imprévue ; qu’il faudrait aller à pied, parce qu’on avait équipé des cavaliers avec tous les chevaux de la maison, et qu’on avait donné les bœufs à des métairies ruinées ; enfin, que si l’on trouvait M. de Sainte-Flaive parti, on rejoindrait l’armée comme on pourrait. Mlle de La Charnaye elle-même n’avait plus d’autre espoir que de se réunir à quelques débris des bandes vendéennes, au milieu desquelles ils seraient plus en sûreté que dans une terre isolée et livrée à l’ennemi. Elle ajoutait sur l’état du pays des détails qui pouvaient préparer le