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bleus se ruant dans les fermes. Quatre jours s’étaient passés dans ces angoisses, car on savait que les hommes qui étaient partis ne devaient point aller loin, ni surtout tenter de rejoindre l’armée royale. Le cinquième jour, rien de nouveau encore. On ne savait que penser. L’espérance commença de renaître, et les femmes, qui s’étaient retirées dans les bois reprirent quelque confiance.

Or, voici ce qui s’était passé. Les gens de Vauvert, dirigés par M. de Thianges, le plus vieux commandant, avaient rencontré, après deux jours de marche, un détachement qu’on ne s’était pas donné la peine d’examiner et qui était peu considérable ; les paysans étaient si résolus, qu’on ne put les retenir. Les bleus ne tinrent pas à la première charge, qui fut terrible ; ils furent écrasés, sauf quelques fuyards qui se replièrent, car ce détachement n’était que l’avant-garde de la colonne. Les Vendéens, ne s’en doutant point, excédés par les fatigues du combat et d’une longue marche, allaient s’arrêter et camper sur la place, quand la colonne arriva guidée par les fuyards. Les paysans sautèrent dans les haies et soutinrent pendant huit heures l’effort de onze cents hommes ; ils n’étaient guère qu’une centaine après le premier combat. Les munitions leur manquèrent bientôt ; on chargea les fusils avec de vieux boutons et des louis d’or qui restaient aux officiers. Les bleus, furieux, s’engagèrent dans les taillis ; on se battit corps à corps, les paysans furent égorgés l’un après l’autre. MM. de Châteaumur et de Vendœuvre, voyant tout perdu, se jetèrent à cheval dans les rangs des républicains et tombèrent hachés en pièces. M. de Thianges fut pris à vingt pas de là et percé de coups de baïonnettes. Quelques hommes s’échappèrent, sautant de fossé en fossé, en tirant leurs dernières balles.

L’un de ceux-là, Pierre Gourlay, arrive vers le milieu de la nuit à Vauvert, exténué, couvert de plaies ; il n’avait eu que le temps de tout raconter, et tombe à demi mort. On fait courir la nouvelle, les femmes se réveillent, on frappe de porte en porte, toute la paroisse est en fuite ; Paulet monte au château, réveille Jeanne la fille de ferme, Colombe la femme de chambre, qui couchait à l’entrée des appartemens, et lui dit qu’il faut qu’il entre et qu’il parle à mademoiselle, qu’il y va de la vie de ses maîtres.

Mlle de La Charnaye couchait, en cas d’évènement, dans une pièce qui précédait la chambre de son père. Depuis quelque temps, elle ne dormait plus, ou n’avait qu’un sommeil agité par de sombres imaginations. Il lui semblait chaque nuit voir arriver les troupes républicaines : le bruit de la cloche, l’aboiement d’un chien, les mugisse-