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MADEMOISELLE DE LA CHARNAYE.

dre de ses frères les républicains, qui hasardaient de forts détachemens dans le pays. Le 17 août, il tomba dans les avant-postes d’une colonne républicaine. Cette guerre était un pillage ; on le fouilla, on lui trouva de l’or ; son costume honnête servit de prétexte, on dit que c’était un espion. Il eut beau se réclamer de son frère, officier dans l’armée : il fut fusillé le long d’une haie. Cet évènement ne fut connu que bien plus tard, et fit beaucoup de bruit à Vauvert. On ne put le cacher à M. de La Charnaye, qui leva les mains au ciel et plaignit du fond du cœur son pauvre domestique. Cette nouvelle produisit une grande impression sur Mlle de La Charnaye elle-même : elle ne put s’empêcher de songer aux difficultés que Mainvielle apportait à la tranquillité de sa maison ; désormais le repos et l’humeur de son père ne dépendaient plus que d’elle.

On reçut justement peu après deux lettres de Gaston qui annonçaient coup sur coup les batailles de Chollet, de Mortagne, de Châtillon, perdues par les royalistes, la levée en masse des républicains, l’arrivée des Mayençais, le malheur de MM. d’Elbée, Bonchamps, de Lescure, blessés mortellement. Gaston désespéré racontait ces évènemens dans toute leur vérité. D’affreux détails remplissaient ses lettres ; il était impossible d’en détacher une phrase qui ne signalât un désastre. Mlle de La Charnaye frémissait rien qu’à l’idée de les lire telles qu’elles étaient. Mainvielle n’était plus là pour démentir des succès imaginaires ou révéler les malheurs qu’on voulait cacher. À bout de ressources et d’expédiens, fatiguée de voir le journal de Gaston troubler le repos de son père, elle résolut, avec la légèreté et la sollicitude irréfléchie d’une jeune fille, de supprimer ces lettres, ou de les altérer si bien qu’il n’en sût rien de plus.

Un jour, une lettre de Gaston qu’on attendait n’arriva point. Elle n’avait pas prévu ce coup. Le marquis demanda dès le matin les nouvelles ; il fallut se résoudre à lui dire qu’il n’était rien arrivé. On se rejeta sur le mauvais état des chemins et le retard possible des messagers ; mais il entra dans une sombre inquiétude que rien ne pouvait dissiper. Deux jours se passèrent, Gaston n’écrivait pas. On parlait dans le pays de nouveaux malheurs. La situation du marquis empirait, il imaginait les plus grandes catastrophes. Mlle de La Charnaye désespérée fut conduite par la suppression des dernières lettres à en supposer de tout-à-fait fausses. Elle demeura tout un jour livrée à cette pensée, qui lui donnait de grands scrupules. La semaine s’écoula, et le jour revint où arrivaient ordinairement les dépêches. Mlle de La Charnaye passa la matinée dans sa chambre au milieu de