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MADEMOISELLE DE LA CHARNAYE.

soient, il y en a peut-être qui n’y sont pas disposés. — Ceux-là sortiront, s’écria le marquis, comme on chasse d’une place les lâches et les traîtres avant les résistances désespérées.

Mainvielle, atteint au vif, perdit contenance. Mlle de la Charnaye, qui accourait au bruit, l’entraîna vers la porte. Elle revint à son père, qui s’était laissé tomber sur un siége et le trouva si pâle, si haletant, si hors de lui, que les larmes lui en vinrent aux yeux. Elle s’installa près de lui sans essayer même de le calmer ; il ne dit plus une parole de toute la journée.

Le soir, comme Mlle de La Charnaye traversait les appartemens inférieurs, elle trouva Mainvielle qui l’attendait et la prit à part : — Mademoiselle, je vois bien que mes services ne sont plus agréables à monsieur le marquis ; je vous supplie de me donner mon congé. Mon frère sert parmi les bleus, la guerre devient terrible, et je vois le moment où je serais forcé de prendre les armes avec vos paysans. Monsieur le marquis est un excellent maître, mais je ne puis lui sacrifier ma conscience. Je vais à Saumur, chez mon beau-frère, qui y est établi, et de là à Paris, pour chercher une condition. Je conserverai toujours le souvenir de vos bontés, et, si jamais je puis vous être utile en quelque chose, comptez sur Mainvielle. — Mlle de La Charnaye, fort surprise, essaya de lui faire des représentations ; mais il insista, ses paquets étaient faits, il voulait partir. Au fond, elle sentit que c’était là une occasion de rétablir la paix dans la maison, à laquelle elle n’eût osé songer et qui se présentait d’elle-même. Elle reprit : « Attendez que je consulte mon père, ou du moins que je le prévienne ; je ne puis prendre sur moi de vous laisser aller. »

Le lendemain, Mainvielle se présenta en habit de voyage chez M. de La Charnaye, qui lui dit : — Tu veux donc nous quitter, Mainvielle ? Que le ciel te conduise ! Recommande-toi de moi, s’il en est besoin. — Je vous remercie, mon cher maître ; et si j’osais… on ne sait, par le temps qui court, ce qui peut arriver… je vous prierais aussi de compter sur moi et les miens dans l’occasion. — Cela n’est pas de refus, dit le marquis ; adieu mon ami. — Il tendit la main à Mainvielle, qui la baisa. Mainvielle partit avec trois paysans de Vauvert, qui devaient l’accompagner jusqu’à trois lieues environ du château.

D’Elbée était généralissime depuis la mort de Cathelineau, et l’échec de Nantes avait été vengé sur le républicain Westermann, qu’on venait de tailler en pièces. Jusque-là ces nouvelles arrivaient fort exactement à Vauvert par les soins de Gaston ; quelque blessé,