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manes portent la tunique bleue et les cheveux tressés ; les chrétiennes, la chevelure courte et frisée, avec la tunique blanche.

Les manières d’un Abyssin de haut rang sont celles d’un Européen bien élevé ; il y a en lui une distinction naturelle qui supplée au travail de l’éducation. Grave, sincère, judicieux, il a conservé quelque chose de cette raison supérieure qui régna si long-temps dans le monde antique. Auprès d’une civilisation matérielle fort arriérée, il s’est ménagé, comme contre-poids, une culture intellectuelle qui étonne. Bloqué par l’islamisme et replié sur lui-même, ce peuple a su garder sa foi intacte, comme les oasis conservent leur verdure au milieu des sables du désert. Quand un Européen arrive sur ces plateaux après avoir traversé les populations fanatiques et farouches de l’Asie et de l’Afrique musulmanes, il est à la fois surpris et charmé de rencontrer cette tolérance, cette sûreté de relations, cette bienveillance, cette franchise, cette sérénité. Ce peuple constitue dans l’Orient une anomalie vivante, ou plutôt il y représente le vieil Orient, à qui nous devons tant de choses, la religion, l’histoire, la poésie.

Ne flattons personne : ce peuple a ses défauts ; il est intéressé, avide de gain, parfois indolent et de mœurs très relâchées. Cette dernière tendance lui a été reprochée surtout. Il est vrai que, dans l’Abyssinie septentrionale, la vertu d’une femme n’est pas une chose qu’on évalue bien haut, et les peuples du Tigré la croient, dit-on, suffisamment indemnisée par le simple don d’une chemise. Nous pensons que, même pour cette zone, les aventures galantes ont été l’objet de beaucoup d’exagérations ; mais, ce qu’il y a de certain dans tous les cas, c’est qu’à Choa les choses ne se passent point ainsi. Sans affecter du rigorisme, on y respecte du moins les convenances ; les mariages se contractent régulièrement, et le roi seul a le droit d’avoir des concubines. Quant aux liaisons secrètes, il en existe sans doute à Choa, et comment pourrait-il en être autrement, dans un pays où il n’y a pas de courtisanes[1], et où ce nom même n’a point d’équivalent ? Mais ces liaisons sont moins fréquentes qu’on ne le croit, et le mystère dont on cherche à les couvrir indique seul le caractère qu’on y attache.

Le gouvernement de Choa est absolu dans toute l’acception de ce

  1. MM. Combes et Tamisier ont commis une erreur en traduisant ouichema par le mot courtisane. Ouichema est un nom amical, que l’on peut donner à toute femme sans que la chose se prenne en mauvaise part.