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danges, rappellent cette préoccupation biblique dont nous avons déjà parlé souvent ; il en est un peu du mysticisme au moyen-âge comme de la vérité, vous le retrouvez jusque dans le vin :

Un jour la vigne adorée
Descendit du coteau divin
Dans le sein
D’une vierge pure et sacrée,
Qui devant tous, sous le ciel,
Porta la graine féconde
Jusqu’au saint jour de Noël,
Où le vin fut mis au monde,
Notre maître universel !

Il y a bien encore l’artisan voué à la culture des arbres à fruit, le jardinier, dans lequel se révèle sous sa forme la plus complète la manipulation immédiate du monde végétal ; mais ici l’activité se perd en de si menus détails, tant de connaissances deviennent nécessaires, l’individu se passe si facilement de l’impulsion des masses, que le lied disparaît pour faire place à la réflexion.

Voici maintenant, pour clore la série, l’homme de la montagne, le mineur ; entre le vigneron et lui cependant nommons le charbonnier, nature âpre et démoniaque, marquée à la sombre empreinte du feu. Le mineur conserve en lui quelque chose de l’être mystérieux du chasseur. Les mêmes raisons qui font du laboureur un père de famille honnête, simple, religieux, du vigneron un satyre lascif, du jardinier liant ses fleurs sur le pied, balayant les chenilles, émondant les arbres à sa fantaisie, un artisan sobre et réfléchi, les mêmes raisons font de l’homme des mines un personnage tout mystique. Le personnage dont nous parlons vit d’indépendance, de conquêtes et de liberté. Là où la tâche si rude à laquelle il se livre est forcée, où l’exploitation des mines est une servitude, le mineur manque. Ni l’antiquité, ni l’Amérique espagnole, ne connaissent ce type singulier. Le mineur est une création du Nord, une création de la liberté, sans laquelle la nature ne saurait s’animer et vivre. La nature ne parle qu’à l’homme libre : lui seul comprend ses langues mystérieuses, lui seul saisit le sens divin sous l’enveloppe extérieure, et si des esprits inconnus résident au sein des profondeurs souterraines, si l’or et les diamans ont leurs gnomes, ce n’est ni à l’esclave courbé sous le fouet du proconsul romain, ni au misérable Indien attaché là par la cupidité farouche d’un aventurier espagnol, que ces forces élémentaires se révèlent, mais à l’ouvrier robuste, au compagnon