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Européen n’avait encore pénétré. L’armée se mit en marche le 24 janvier 1840, et eut à essuyer en route un de ces ouragans de sauterelles qui interceptent les rayons du soleil, et rappellent l’une des sept plaies historiques de l’Égypte. Quatre jours après, elle était en face de l’ennemi, et engageait avec lui une affaire d’avant-garde. Des deux parts, les combattans montrèrent de la fermeté et du courage. Les cavaliers de Choa entonnèrent leur chant national puis, brandissant leurs lances, s’élancèrent au petit galop sur les Gallas. Arrivés à quatre-vingts pas l’un de l’autre, les deux partis se précipitèrent au combat avec un acharnement sans exemple. Une grêle de javelots siffla dans les airs, et de nombreuses victimes jonchèrent le champ de bataille. Mais ce n’était pas tout : aux yeux de ces peuples, une victoire n’est complète que lorsqu’on possède un trophée qui en fasse foi. Les Arabes de l’Atlas coupent les têtes, les Kabyles les oreilles ; les Abyssins tiennent à constater la virilité des vaincus, et ils pratiquent de temps immémorial l’émasculation des ennemis morts. Ces insignes vont ensuite parer la porte de leurs demeures, sans que la pudeur publique en soit blessée. C’est l’usage. Un guerrier qui n’a pas en sa possession au moins une de ces dépouilles est fort peu considéré dans le pays. Il est astreint à se faire raser les cheveux tous les mois ; il n’est qu’un homme incomplet. Celui, au contraire, qui fournit cette preuve de courage personnel, acquiert le droit de porter les cheveux longs, la chevelure tressée ou nattée, tous signes distinctifs d’une certaine position militaire et sociale.

Les Gallas n’avaient pas pu soutenir le choc : à la suite de cette escarmouche, ils se replièrent, laissant sur la place quarante-trois des leurs : il est vrai que l’armée de Choa comptait de son côté trente morts. Enfin, une capitulation fut conclue, et, au lieu de donner la chasse aux hommes, le roi et ses officiers purent poursuivre les buffles sauvages. M. Rochet profita de cette diversion pour se rendre avec une escorte aux sources de l’Hawache, qu’il trouva et reconnut au milieu des marais situés au sud d’Ankobar. Ainsi, il y aurait erreur dans les cartes, qui font dériver ce cours d’eau du lac de Saouë. L’armée devait d’abord porter la guerre vers ce point éloigné, où se trouvent, au dire des naturels, les manuscrits les plus précieux de toute l’Abyssinie ; mais la soumission complète des Gallas arrêta les vainqueurs à mi-chemin.

Après ces reconnaissances de détail, il ne reste plus qu’à examiner, avec M. Rochet, le royaume de Choa dans son ensemble. Les provinces qui composent cet état forment une contrée à peu près circu-