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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

les pila dans des mortiers, et le roi mit lui-même la main à besogne. La trituration achevée, on plaça le tout dans de fortes toiles de coton que l’on soumit à la presse. Le jus coula, fut filtré dans un capuchon de laine, puis soumis à l’évaporation et à la cuisson, enfin versé dans les formes à cristalliser. Quelques jours après ; la matière fut retirée des formes, et, quoique médiocrement blanche, elle n’en avait pas moins la solidité voulue et toutes les qualités essentielles, pour un bon emploi. Ces deux expériences frappèrent d’étonnement le roi et ses sujets, et dès ce moment l’industrieux étranger fut placé dans l’opinion à un haut degré d’estime.

Il n’y eut plus dès-lors de fête où il ne fût prié. Un jour, le roi lui dit « Rochet, nous allons mettre ton adresse à l’épreuve. Viens avec moi chasser aux gourezas » Ces gourezas sont des singes d’une agilité extrême, et qui semblent mettre le chasseur au défi. Or, Sahlé-Salassi se pique d’être un tireur adroit, et, en effet, il fit plus d’une fois ses preuves devant son hôte. La partie, comme on le pense, fut acceptée, et il en résulta une sorte de gageure. Le rendez-vous de chasse était dans une forêt de cèdres et d’oliviers sauvages située à trois lieues d’Ankobar On y arriva vers le milieu de la matinée. Les singes abondaient, on les voyait de loin s’élancer d’un arbre à l’autre, grimper, effrayés, vers le sommet des cèdres, avec la conscience du danger qui les menaçait. La chasse fut ouverte, et chacun eut la liberté de la suivre à sa fantaisie ; seulement, à un signal donné, il fallait se retrouver au point du départ. Quand ce moment fut venu, les chasseurs se présentèrent avec leur gibier. Le roi était vaincu ; M. Rochet apportait deux singes, et Sahlé-Salassi n’en avait qu’un à lui opposer. Aussi ce dernier s’exécuta-t-il sur-le-champ, en donnant à l’heureux tireur une fort belle mule. Telle est la règle des chasses royales en Abyssinie. Dans cette excursion, M. Rochet reconnut un arbuste saponifère nommé indote, qui sert à la fabrication d’un savon en usage dans le pays. C’est un végétal peu élevé dont les branches commencent à un demi-pied du sol, et s’étendent horizontalement. L’écorce en est d’un vert lisse argentin, les feuilles sont elliptiques ; les grappes, allongées, sont pleines de graines attachées au pédoncule commun et assez semblables à la graine du pavot. Quand le fruit est mûr, on le récolte, on le fait sécher, on le pulvérise dans un mortier en bois, pour en tirer une pâte qui écume comme le savon, et blanchit le linge.

Le roi emmena encore M. Rochet avec lui dans une campagne contre les Gallas du sud-ouest, sur la ligne de l’Hawache, où nul