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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

tinguent, par l’originalité du caractère. Il ne s’agit plus de rêverie mélancolique au bord du lac, d’aveux timides, de soupirs étouffés, de longs regards au clair de lune, mais de baisers furtifs, d’étreintes vives, d’alarmes et de surprises au fond du bois. Figure moitié réelle, moitié fantastique, souvent de sang royal, toujours noble, le chasseur marche entouré de toute la poésie de la montagne, de la forêt et du torrent. Cousin de Samiel et d’Othon, il est vêtu de vert des pieds à la tête ; il a la barbe inculte, les cheveux touffus et noirs, l’œil vif et libertin, et porte à son feutre un bouquet de plumes de faisan ou de coq de bruyère. Aussi les jeunes filles le redoutent, car elles sont le gibier qu’il poursuit à travers la haie ou le fossé. Leur faible cœur bat aux accens de sa trompe ; elles sentent à son approche ce mélange de terreur superstitieuse et d’ardente curiosité dont s’enflamment les jeunes têtes en présence d’une apparition extraordinaire. Elles s’effraient de lui d’abord, mais pour l’aimer ensuite à la rage. Le chasseur est jaloux, violent, implacable ; joignez à ces défauts l’auréole de mystère dont sa vie errante le décore, et vous comprendrez la fascination qu’il exerce sur tant d’aimables créatures. Il fond sur les jolis minois comme l’épervier sur l’hirondelle. Autant il en découvre, autant il en affole. Malheur aux sensibles meunières ! malheur aux garçons de ferme, aux amoureux de tous les jours ! Dès que le chasseur apparaît, tous leurs droits sont perdus, et, devant ce fléau de Dieu, il ne reste plus aux pauvres diables qu’à s’aller pendre ou noyer. — Plus tard, lorsque Goethe ramènera la poésie du Nord aux sources primitives du moyen-âge, dans le mouvement rétrospectif qui s’emparera de toutes les nobles imaginations allemandes au XVIIIe siècle, nous verrons Wilhelm Müller faire son profit de ce type populaire, et chanter, dans un poème plein de naturel et de grace charmante, les vaillantises du hardi chasseur, les faiblesses de la belle meunière et le martyre si touchant de son pauvre amoureux délaissé :

Que veut donc le chasseur en ces lieux ? Qui l’amène
Au ruisseau du moulin ? — Reste dans ton domaine,
Hardi chasseur. Ici point de gibier pour toi.
Une douce chevrette ici tremble pour moi ;
Et si tu veux la voir, si tu veux qu’elle vienne,
Laisse dans le bois ton fusil,
Enferme ta meute au chenil,
De ta trompe d’airain apaise la fanfare,
Et va de ton menton raser le poil grossier,