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le désespoir de toute une existence ; un mot suffit à cette effusion profonde, une image, un trait. Vous ne citerez pas une nuance de l’amour qui ne soit exprimée au moins dans cette poésie : les regrets, les ardeurs dédaignées, l’incertitude et les angoisses qui accompagnent l’instant de la déclaration, les souffrances du doute, les tristesses de la séparation, que sais-je ? tout cela dans une forme charmante, gaie ou mélancolique, rayonnante ou sombre, selon qu’il convient au sujet ; car le lied a ses élans tragiques tout comme ses humeurs rêveuses, ses vagues aspirations vers l’infini, et même ses joyeuses boutades. Quoi de plus mélancolique et de plus douloureux que la plainte de cette jeune fille qui déplore la fleur de sa jeunesse enfermée dans les monotones solitudes du cloître, rêve à l’amour qu’elle ignore, et, du fond des ténèbres et de la mort, tend les bras vers le soleil qui ne doit point l’atteindre ? « Puisse Dieu lui envoyer des jours funestes, à celui qui m’a faite nonne, qui m’a donné le manteau noir et la robe blanche ! » Il y a dans cet hymne, qui commence par un cri de détresse et se termine par la résignation au sein du Christ, par l’espérance dans la tombe, quelque chose de solennel et de touchant, de terrible et de mystérieux, qui n’appartient qu’à la poésie du catholicisme. Vous y respirez comme une odeur de sépulcre et d’encens, de cierge et de renfermé, de jeunesse et de mort. C’est bien là, en effet, la poésie du catholicisme, de cette religion qui sème de petites croix l’herbe nouvelle, et trouble les fêtes du printemps de l’appel des cloches lugubres. Schubert a saisi admirablement cette double impression qui vous glace le sang dans les veines et vous invite aux larmes, ce double mouvement de terreur et de sainte mélancolie dans son chant de la Religieuse, qui n’est, au reste, que la paraphrase musicale de cette poésie. — Quel parfum élégiaque ne s’exhale-t-il pas de tous ces lieds, où deux amans se quittent pour ne plus se revoir ? Le jeune homme va courir le monde, et, lorsqu’il revient de ses campagnes, sa douce fiancée est morte. Ainsi le roi d’Angleterre trouve sa bien-aimée au sépulcre, ainsi le comte palatin du Rhin trouve sa maîtresse au cloître. Parfois vous rencontrez des souvenirs de l’antiquité, échos perdus des jours anciens qui vous frappent, non sans charme, au milieu de ces bois romantiques. Un lied qui commence par ces mots : « Un bel adolescent s’épuise à fendre les vagues, » est une réminiscence de la romance d’Héro et Léandre ; un autre qui débute ainsi : « La jeune fille se lève à l’aurore, et va courir dans le bois vert, » rappelle l’histoire de Pyrame et Thisbé.

Bon nombre de lieds, dont la vie de chasseur fait le fonds, se dis-