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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

pleine de mélancolie et de grace. — Une jeune fille est à cueillir des pâquerettes dans son jardin, lorsque tout à coup la Mort, écartant les ramures d’une haie d’aubépine en fleurs, se présente à ses yeux et lui dit : Je viens te prendre. La jeune fille pâlit et s’épouvante ; son bouquet lui tombe des mains. Elle veut fuir, mais un ascendant irrésistible la retient là, palpitante comme l’oiseau sous le regard qui la fascine. Elle pleure, elle sanglotte, elle supplie, se roule au genoux de la Mort, lui parle de sa mère, de ses quinze ans, de son jardin et de ses fleurs. Peine inutile ; la Mort ne veut rien entendre. Cependant une lutte s’engage, lutte cruelle et désespérée, où la jeune fille succombe, et la Mort, sans laisser voir plus de contentement de son triomphe qu’elle n’a montré d’embarras tout à l’heure, la Mort, toujours impassible et sûre d’elle-même, étend alors sa douce victime sur le gazon, et lui va cueillir près du ruisseau quelques fleurs qu’elle tresse à la hâte en psalmodiant ce refrain, dernière strophe du poème :

La couronne
Que je donne
S’appelle la mortalité[1].
Prends-la, vierge de pureté.
Tu ne seras pas la dernière
Qui la portera sur son front.
Autant il en naîtra sur cette froide terre,
Autant avec moi danseront,
Pour qu’un jour aussi je leur donne
La couronne !

Et n’ayons garde de nous y tromper, ce ballet excentrique, cette chorégraphie singulière où le personnage de la Mort figure toujours plus ou moins sous un aspect grotesque, relève, à sa manière, de la loi fondamentale de la philosophie catholique. C’est le caractère du moyen-âge, que l’idée organisatrice y domine toute chose. Voyez cette danse qui nous occupe, ce jeu bizarre qu’on prendrait au premier abord pour la fantaisie extravagante de quelque imagination oisive, pour l’œuvre d’un Callot ou d’un Hoffmann du XIVe siècle ; qu’est-ce autre chose, sinon le principe catholique mis en relief de la plus originale façon, le dogme de la rédemption traduit en langue vulgaire, sinon la victoire de l’humanité sur la Mort ? L’homme, dans la personne du Christ, a vaincu la Mort au Golgotha. Pourquoi n’en

  1. En allemand Sterblichkeit.