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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

sur son lit de douleurs ; mais ce qui rattache au passé, ce qui touche à l’avenir, nous préoccupe davantage ; il s’agit moins d’un tableau que d’un drame en quelques vers, d’une épopée en miniature, ayant son prologue dans le temps et son épilogue dans l’éternité. Cette fille a aimé, elle a souffert, elle expire aux sons de la musique des anges, qui lui rappelle une voix connue, et, si le passé qui s’éloigne emporte avec lui les regrets et les impressions douloureuses, en revanche le présent qui va se résoudre dans l’avenir n’a que palmes, harmonies et lumière.

Il est un autre chef-d’œuvre du même genre, un autre lied comprenant en ses dimensions restreintes tout un passé d’amour, tout un avenir de désespoir, une somme infinie d’ardeur et d’afflictions ; nous voulons parler de la Fille de l’Hôtesse du même auteur. Ici comme dans la Sérénade, un seul moment est mis en jeu par le poète, moment éternel. La simplicité de la forme, le ton naïf sous lequel les choses se présentent, concourent à rendre l’effet plus saisissant encore. La réticence vous suffoque ; vous diriez la pierre d’un sépulcre pesant sur votre cœur :

« Trois compagnons passaient le Rhin, ils entrèrent chez une hôtesse. — Mère hôtesse, as-tu de bon vin et de bonne bière ? Et ta belle jeune fille, où est-elle ?

— « Mon vin est frais, ma bière aussi ; ma fille gît dans le cercueil.

« Et lorsqu’ils entrèrent dans la chambre, la vierge gisait dans la boîte noire.

« Le premier leva le voile, et la contemplant d’un œil mélancolique : — Hélas ! si tu vivais encore, belle jeune fille, je t’aimerais à dater d’aujourd’hui !

« Le second, laissant tomber le voile, se détourna et pleura : — Hélas ! que tu sois étendue au cercueil, toi que j’ai aimée si long-temps !

« Mais le troisième le releva aussitôt, et baisant sa bouche livide : — Je t’ai toujours aimée, je t’aime encore, et je t’aimerai dans l’éternité. »

Le sentiment qui domine en ce lieu est énergique et viril. Vous le voyez commander à son émotion, étouffer larmes et sanglots. Il semble que Uhland ait voulu ériger par là un mâle et sévère contraste à sa romance si élégiaque, si féminine, de la Faucheuse, à cette poésie où, lui-même ne se contenant plus, il se laisse aller au torrent de son effusion, et s’écrie dans un élan sympathique vers la pauvre fille dédaignée :

Creusez l’herbe nouvelle au sentier le plus frais ;
De si douce faucheuse, on n’en verra jamais !

En France, le mot de lied n’éveille encore qu’une idée toute mu-