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Paulò majora canamus. Adieu les marguerites, les insectes d’or et de feu, qui l’occupaient la veille à ses heures de loisir, la veille, lorsque la patrie était calme et que les voiles de l’occident s’étendaient comme un manteau de pourpre sur la vallée paisible ! Hurrah ! voici le canon ; ce n’est plus un brin d’herbe, ce n’est plus la tige d’un lis qu’il lui faut, mais une tige d’acier, une vaillante épée qu’il anime et qui tressaille à sa voix. « Hurrah ! ma bonne épée au fourreau, tu bats mes flancs sauvages ; ma fiancée, reste dans ta chambrette jusqu’à ce que l’heure soit venue d’en sortir et de célébrer nos épousailles dans le petit jardin où croît la rose de pourpre, fleur de sang. » Voilà donc l’idylle, la fable de tout à l’heure, lied devenu épopée en un clin d’œil, et sans que sa nature s’altère le moins du monde, sans qu’il change de nom ; le poème guerrier de Koerner s’intitule le lied de l’épée, — der Lied des Schwertes. Notre chanson, à nous, ne se hausse point jusque-là, non certes que nous ayons à nous plaindre sur le chapitre des hymnes patriotiques ; à Dieu ne plaise ! la Marseillaise vaut tous les chefs-d’œuvre en ce genre ; mais c’est autre chose : il n’est encore venu à l’idée de personne d’appeler l’hymne de Rouget de Lille une chanson. Le lied occupe donc dans la nationalité allemande une place plus sérieuse et plus noble que la chanson chez nous. Vous le retrouvez sans cesse et partout au-delà du Rhin ; il a des chants pour le foyer, pour la patrie, pour les amours, pour tous les généreux sentimens du cœur ; il soupire avec Brackenburg sous la fenêtre de Claire, tombe avec Théodore Koerner sur le champ de bataille. En France, notre chanson ne nous prend guère qu’après souper, et, quand elle nous a conduits dans l’alcôve de quelque fillette, c’est, à vrai dire, tout ce qu’elle a pu faire de mieux. — Le lied se rapproche aussi de l’épigramme, mais à condition que l’épigramme voilera ce qu’elle a de mordant et d’acerbe sous les dehors de quelque apologue poétique. Ce sera l’épigramme, si l’on veut, mais enveloppée d’images et de fantaisie, et, qu’on me passe l’expression, sublimée. Écoutez ce lied de Goethe, cette épigramme romantique, ce petit poème d’où l’allusion s’échappe comme l’épine d’une rose :

« Un large étang était gelé ; les grenouilles, perdues dans le fond, n’osaient plus coasser, ni sauter, et pensaient, dans le rêve d’un demi-sommeil, qu’elles chanteraient comme des rossignols s’il leur arrivait de trouver seulement là-haut un peu de place. Le vent du dégel souffla, la glace fondit, les grenouilles superbes voguèrent et prirent terre, et s’assirent à la ronde sur le bord, et coassèrent comme par le passé. »

Le lied n’a rien d’absolu, son action dépend de la disposition où