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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

vieux perroquet affublé d’une paire de lunettes. Le lied, en tant que fable, emploie assez volontiers ce genre de comique ; il plonge aussi loin qu’il le peut dans la vie de la nature ; et des phénomènes variés qu’il y surprend, compose ensuite une sorte d’épopée où l’arc en ciel joue le rôle du merveilleux, où le beau et le grotesque, le Caliban et la Miranda, sont représentés par quelque ridicule scarabée amoureux d’une rose. Le lied allemand dépasse le comique si naïf de Jean Lapin pour aller atteindre le grotesque ; il idéalise, il est à la fable de La Fontaine ce que la comédie poétique de Shakespeare est à la comédie réelle de Molière.

Lied veut dire chanson ; il arrive souvent que le lied se divise par couplets, et même qu’il se termine en refrains à la manière de nos chansons. On pourrait citer à ce propos, dans la première partie du charmant petit poème de Wilhelm Müller, intitulé la Belle Meunière, le morceau qui commence et finit par ces vers :

O Wandern, Wandern meine Lust
O Wandern
 !

Cependant le véritable lied, le lied-chanson, n’a d’ordinaire qu’une strophe, deux au plus, qui se répondent l’une à l’autre, ainsi que la voix et l’écho. N’oublions pas que l’essence de cette poésie est le vague, l’indéfinissable, et qu’il faut que notre ame, comme dans certaines phrases de la musique, y trouve l’expression du sentiment qui l’affecte. On le voit, la chanson et le lied, qui semblent au premier aspect de la même famille, se séparent bien vite, pour peu qu’on y prenne garde ; l’une vient de la tête, l’autre du cœur. L’une, enjouée et badine, indique une société de bonne humeur, sceptique, portée au plaisir, aimant l’ivresse plus que l’enthousiasme ; une société où l’esprit règne en maître, où l’éclat de rire de Voltaire aura tôt ou tard raison de toute croyance, de toute sensibilité ; l’autre, au contraire, sérieuse même dans ses manifestations en apparence les plus légères, pleine de je ne sais quel mysticisme où le dieu de Spinosa se révèle sans cesse, rapportant toute chose à l’idéal, est l’expression d’un pays où les sources élémentaires de la poésie coulent encore, où l’homme vit en communion avec l’être universel, où les cascades qui bouillonnent, les acacias en fleur, le ciel étoilé, signifient encore quelque chose, où la porte donnant sur la nature n’a point été murée. Le lied est le chant familier de l’Allemagne, de l’Allemagne rêveuse, mélancolique, chevaleresque : que la guerre éclate, et Koerner va remplacer Novalis, et le lied du printemps va se dire, comme le poète latin :