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On s’étonnera peut-être que M. Letarouilly, entouré de tant de nobles vestiges de l’antiquité, ait pris l’architecture moderne de l’Italie pour objet principal de ses études, et qu’il n’en ait pas même écarté l’époque où le mauvais goût avait déjà fait des progrès rapides. Nous laisserons M. Letarouilly justifier lui-même son choix.

« Les monumens de la renaissance, dit-il dans son introduction, enfans d’un âge plus rapproché du nôtre, étaient destinés à satisfaire à des usages et à des besoins plus conformes à ceux de notre époque ; leur application devenait plus directe et plus facile. D’après ces motifs, notre choix a dû se fixer de préférence sur l’architecture des XVe, XVIe et XVIIe siècles. Une considération déterminante pour nous était non-seulement d’offrir des monumens d’un grand intérêt, mais de présenter des objets qui, déjà eux-mêmes, étaient l’application d’un système antérieur. On donnait ainsi la mesure de ce qu’il faut entendre par imitation, en montrant de quelle manière des hommes de génie ont su imiter sans être plagiaires, et comment ils sont parvenus à faire passer dans leurs œuvres et à s’approprier les beautés de l’antique, de telle sorte qu’on n’y trouve plus l’ouvrage, mais l’esprit des anciens. »

Les monumens de la renaissance offrent en effet d’excellens modèles à imiter (j’emploie ce mot dans le même sens que M. Letarouilly), parce que ce style se prête merveilleusement aux proportions restreintes de nos constructions civiles. La renaissance italienne surtout est féconde en utiles enseignemens qu’on aurait plus de peine à trouver dans notre pays à la même époque. Il est vrai que, pendant la première moitié du XVIe siècle, quantité de constructions charmantes se sont élevées dans toutes nos provinces, mais rarement on y voit la grandeur s’y allier à la grace. Nous avons une foule de caprices délicieux, de bijoux en pierre, si je puis m’exprimer ainsi : on dirait que chez nous les sculpteurs ont usurpé les fonctions d’architectes. En Italie, au contraire, on voit dans toutes les constructions plus de noblesse et de sévérité et dans le moindre casin on observe souvent des dispositions grandioses, de même que dans un tableau de chevalet de Raphaël on reconnaît le peintre de la Transfiguration.

Nous nous garderons donc bien de critiquer le choix de M. Letarouilly, surtout en présence de cette foule de beaux dessins qu’il met sous nos yeux ; je lui demanderais seulement de comprendre dans son cadre une autre renaissance que celle du XVe siècle. L’époque bysantine, dont Rome à conservé tant d’admirables monumens, peut fournir aussi des exemples qui ne sont pas à dédaigner. À part une certaine barbarie dans quelques détails, qui n’est nullement dangereuse, car elle ne tient pas au fond du système, l’architecture des premiers siècles du christianisme se recommande par ses belles dispositions, par une certaine majesté qui s’unit avec la simplicité la plus sévère, comme avec la richesse la plus prodigue d’ornementation. Je la crois encore éminemment appropriée à nos usages religieux. Enfin, j’en pourrais faire un éloge qui, aux yeux de bien des gens, résumerait tous les autres : — on peut exécuter à bon marché. Si donc M. Letarouilly, qui va si facilement de Paris à Rome, voulait entreprendre un nouveau voyage, nous le supplierions de nous retracer Saint-Clément, Sainte-Praxède, Saint-Étienne-le-Rond, et tant d’autres beaux édifices dignes d’exercer son habile crayon. Dans un moment où le dédain déplorable qu’on a eu pendant si long-temps pour le moyen-âge fait place à un enthousiasme qui tient un peu de la mode, il est à désirer que le goût