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LA RUSSIE DU MIDI ET LA RUSSIE DU NORD.

ce qui tient au développement de l’intelligence et à la propagation des idées. En Suède, il y a plusieurs savantes académies. Dans les provinces de la mer Baltique, on ne trouve que quelques innocentes sociétés dont les travaux sont fort timides. En Suède, il y dans chaque ville un ou plusieurs journaux. Dans les trois provinces russes de la Baltique, il y en a vingt en tout, y compris les feuilles d’annonces.

Quoi qu’il en soit de cet état de choses, et quelles que puissent être ses chances de réforme et d’amélioration, c’est à Dorpat que l’influence littéraire de l’Allemagne sur les provinces russes se manifeste avec le plus d’éclat, et c’est par là qu’elle se propage dans l’intérieur de l’empire. Mais les Russes contrebalancent sur d’autres points cette influence par l’opiniâtreté avec laquelle ils s’insinuent dans le pays, par une nature laborieuse, et leur facilité à faire, selon les circonstances, toutes sortes de métiers.

Partout, assure M. Kohl, où il s’agit d’un travail à exécuter rapidement, les propriétaires choisissent des ouvriers russes qui sont généralement très habiles, et qui s’en vont de district en district, leur instrument sur l’épaule, ne demandant que de l’ouvrage et le faisant avec une rare activité. Les Russes ont encore plus de penchant pour le commerce que pour le métier d’artisan ; ils traversent le pays avec toutes sortes d’objet de quincaillerie qu’ils apportent de Moscou. Les marchés de Dorpat, de Revel, de Narva sont inondés d’une foule de Russes qui apportent des denrées assez mauvaises, mais à très bon marché. Le Russe ne s’en tient pas là, il est entreprenant et se lance dans les spéculations ; tantôt il achètera d’avance la récolte des fruits pour l’envoyer à Pétersbourg, tantôt il se fera adjuger la construction d’un pont ou d’un édifice public. Aujourd’hui il sera employé chez un marchand de Riga, demain cocher d’un gentilhomme ; peu lui importe le changement, pourvu qu’il gagne de l’argent. Le Russe est aussi le pêcheur le plus habile qui existe peut-être dans le monde entier ; s’il jette ses filets dans un fleuve ou dans un étang, il est probable qu’il n’y laissera rien. Dans l’Esthonie et dans la Livonie, quand un propriétaire afferme la pêche d’un de ses lacs, il interdit au fermier la faculté de la faire faire par les Russes. Enfin, les Russes sont d’excellens jardiniers ; ce sont eux qui approvisionnent les villes de légumes. Jour et nuit, ils sont infatigables ; ils travaillent sans cesse tantôt pour mettre leurs plantes à l’abri des rayons du soleil, tantôt pour les garantir du froid. Ils vivent économiquement, se contentent d’un léger bénéfice, et vendent leurs denrées à bas prix.

C’est à Riga surtout qu’il est curieux d’observer la rivalité des Allemands et des Russes, la lutte entre les familles établies là depuis des siècles, jalouses de leurs anciens priviléges, et les familles industrieuses qui viennent journellement s’implanter à côté d’elles. Riga est la seconde ville de commerce de l’empire russe. Fondée en 1200, soumise d’abord à l’ordre des chevaliers teutoniques, elle s’agrandit rapidement, et conquit peu à peu d’importans priviléges. Au XVe siècle, elle avait le droit de battre monnaie, elle entretenait des troupes, elle armait des flottes. Au XVIe siècle, ses bourgeois déployaient dans