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même famille, se réunissent à certaines époques solennelles, à Noël, à la Saint-Jean, au jour des funérailles ou au jour des noces. Là, quand un ami est mort, on le harangue encore en prose et en vers, comme s’il pouvait entendre du fond de son cercueil la voix plaintive et affectueuse qui lui parle. — Pourquoi, lui dit-on, pourquoi nous as-tu quittés si vite, ô toi que nous chérissions ! ta demeure ne te plaisait-elle plus ? Ta place au foyer n’était-elle pas assez chaude, ton lit assez doux, ta jatte de lait assez pure ? Tes enfans t’ont-ils affligé, tes voisins t’ont-ils trahi ? Pourquoi as-tu fermé si vite tes yeux à la clarté du jour, aux champs où paissent tes troupeaux, pour t’en aller dans la nuit sombre d’où l’on ne revient pas ? — Et quand la veuve en habits de deuil, quand les enfans éplorés ont ainsi exprimé leur dernière sollicitude, ils ensevelissent le mort avec ses vêtemens du dimanche, afin qu’il se présente d’une manière convenable aux yeux de Dieu. Quelques-uns placent dans sa tombe un morceau de pâte qui a la forme d’une échelle, pour l’aider à monter au ciel, et une bouteille d’eau-de-vie pour lui donner des forces pendant sa longue route.

Leurs cérémonies de fiançailles ont le même caractère naïf et touchant. Quand un jeune homme a fait son choix, il prie un de ses amis d’être son avocat, et d’aller présenter sa demande. Le délégué arrive dans la famille, qui sait déjà l’objet de sa mission. Il célèbre, dans un long épithalame, les vertus de celui qui l’envoie et les vertus de celle qu’il vient chercher. Là-dessus, on lui montre l’une après l’autre plusieurs jeunes filles. Il fait prudemment l’éloge de chacune d’elles, et ajoute : Je ne vois pourtant pas celle que je cherche ; il doit y avoir encore par là, dans quelque chambre retirée de la maison, une aimable colombe, une douce brebis ; c’est celle-là que je voudrais voir. Après une foule de réponses évasives, d’excuses, de réticences, la fiancée arrive enfin, précédée et suivie de deux de ses amies portant des flambeaux pour la montrer dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa virginité. L’avocat lui offre avec mille complimens enthousiastes un verre de bière ou d’eau-de-vie, et, si elle accepte, les fiançailles sont conclues, le mariage est décidé.

Dès ce jour, le fiancé peut venir librement dans la maison, et il vient, monté sur un cheval qui n’est ferré qu’à demi, afin que de loin sa bien-aimée reconnaisse ses pas au clapotement des fers de son coursier. Quand il retourne dans sa famille, après avoir obtenu un doux serment d’amour, il noue la queue de son cheval ; les femmes qui le voient passer avec ce signe de bonheur s’approchent de lui et lui adressent un chant de félicitation.

Le jour du mariage, la jeune fille porte sur la tête une couronne d’argent, surmontée de plusieurs pièces de métal qui ressemblent à des épines, image des épines qu’elle doit savoir porter comme épouse et comme mère. Elle s’avance au milieu des siens, la tête baissée, le visage triste, car elle ne doit songer en ce moment qu’à la douleur de quitter la maison paternelle, de renoncer à son insouciante vie de jeune fille pour entrer dans une demeure