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fortifiée. Aujourd’hui que le malheur a frappé Méhémet-Ali, on peut désavouer noblement tous les éloges qu’on lui a donnés, et refuser même une capacité médiocre à celui qu’on célébrait naguère comme un homme de génie. Il n’en est pas moins vrai que Méhémet, vainqueur de l’armée turque, maître de l’Égypte, de la Syrie, de l’Arabie, était une grande puissance en Orient, dans ce pays où, plus qu’ailleurs, le prestige de la victoire impose aux esprits et frappe les imaginations. Or, par un concours heureux de circonstances, il se trouvait que Méhémet, populaire en France, bien servi par des Français, curieux et jaloux d’introduire dans ses états quelques élémens de nos arts, de nos sciences, de notre civilisation, avait pour la France plus de respect, plus de goût, plus de sympathie que pour toute autre puissance. Si l’influence russe était la principale à Constantinople, l’influence française était donc la première à Alexandrie et chaque jour semblait y ajouter quelque chose.

On l’a dit à la tribune, et tout le monde s’en souvient, pendant les sessions de 1838 et 1839, cette situation faisait à la fois notre orgueil et notre consolation. On convenait qu’ailleurs la France avait joué un petit rôle mais on se promettait d’en jouer un grand en Orient, le jour où les circonstances le permettraient. Le statu quo, d’ailleurs, n’avait rien qui nous fût défavorable, puisqu’il consolidait notre alliance avec Méhémet et étendait nos relations avec les pays soumis à sa domination.

Voilà précisément la situation qui portait ombrage au ministère anglais et qui le rendait hostile à Méhémet-Ali. « Le gouvernement britannique, disait M. Guizot dans une dépêche du 16 mars 1840, désire affaiblir le pacha d’Égypte de peur qu’il ne soit pour la France dans la Méditerranée un allié trop puissant et trop utile. » C’est dans cette pensée que le traité du 15 juillet fut préparé, signé, exécuté ; c’est dans cette pensée encore qu’on vient, il y a six semaines, de le déclarer, avec grand fracas et grande pompe, accompli et éteint. Maintenant je demande quel est le coin de l’empire ottoman où la France pourrait avoir une véritable influence. Est-ce à Constantinople ? La sublime Porte sait que si, dans sa querelle avec son puissant vassal, la France n’a pas tiré le canon contre elle, c’est par des considérations qui lui sont parfaitement étrangères et dont il serait difficile qu’elle nous sût gré. Plus que jamais, d’ailleurs, la sublime Porte est dans la dépendance de la Russie, qui, plus que jamais aussi, se montre l’ennemie de la France. Est-ce en Syrie ? Les populations de Syrie ont vu quelques poignées de soldats anglais bombarder leurs