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SITUATION ACTUELLE DE LA FRANCE.

phare ralluma soudainement ses feux et brilla d’un éclat inattendu, il y eut en Europe un élan d’allégresse et d’enthousiasme qui se traduisit bientôt en agitations populaires et en révolutions. C’est alors que la Belgique brisa le lien qui l’unissait à la Hollande, que la Suisse secoua le joug de son aristocratie, que l’Espagne donna des signes d’une fermentation nouvelle, que tout le nord de l’Italie s’insurgea, que la Pologne reconquit pour quelques jours sa nationalité, que la pesante Allemagne elle-même s’agita jusque dans ses fondemens, que l’Angleterre enfin entra dans la voie de la réforme. Il y avait donc partout, au nord, à l’est, au midi, un grand mouvement révolutionnaire et libéral dont la France était la tête et le cœur. Après avoir protesté contre toute idée de conquête territoriale, la France ne pouvait-elle prendre ce mouvement sous sa protection, et prêter partout appui aux peuples contre les gouvernemens ? Le 25 juillet 1840, en communiquant à lord Palmerston le contre-mémorandum français, M. Guizot lui adressait les belles paroles que voici, et dont avec raison il s’est fait honneur à la tribune : « Vous nous exposez, milord, lui disait-il, à une situation que nous n’avons pas cherchée, que depuis dix ans nous nous sommes appliqués à éviter. M. Canning, si je ne me trompe, était votre ami et votre chef politique. M. Canning a montré un jour, dans un discours bien beau et bien célèbre, l’Angleterre tenant entre ses mains l’outre des tempêtes, et en possédant la clé. La France aussi a cette clé, et la sienne est peut-être la plus grosse. » La clé dont parlait M. Guizot en 1840, la France en 1830 ne pouvait-elle pas s’en servir ?

C’était là, je le sais, un rôle difficile, hasardeux, mais qui avait sa grandeur et ses chances. La France le déclina, et se contenta de faire respecter deux révolutions accomplies et qui se trouvaient à sa porte, celle de Belgique et celle de Suisse. La France eut-elle tort ? Beaucoup le pensent, et ce qui se passe en ce moment semble, il faut l’avouer, leur donner, jusqu’à un certain point, gain de cause. Je persiste pourtant à n’être pas de cet avis. Sans compter qu’une telle politique, avant toute agression, était peu conforme au droit des gens et à la loi qui régit les rapports des nations entre elles, elle offrait au dehors à peu près le même danger que la précédente, celui de réunir contre nous tous les gouvernemens européens. Elle soulevait en outre au dedans les passions révolutionnaires, et menaçait le pays de longues et terribles convulsions. Ces raisons, selon moi, devaient l’emporter et l’emportèrent. Il faut pourtant reconnaître qu’en laissant s’éteindre l’enthousiasme et la sympathie des peuples, la