Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/670

Cette page a été validée par deux contributeurs.
666
REVUE DES DEUX MONDES.

de sa plus grande puissance, devenu l’objet de la crainte et de l’admiration de l’Europe, se mit au-dessus des lois et des convenances. Marié, il eut des maîtresses aux yeux de toute la France, et reconnut les enfans qu’il en avait eus. Ses contemporains même, Saint-Simon entre autres, n’ont pas épargné à sa conduite un blâme sévère. Or, le régent vient de faire baptiser à Madrid un enfant dont l’a rendu père une de ses maîtresses qu’il a ramenée de Barcelone, et lui a publiquement donné le nom de Juan Espartero !

Les Anglais cherchent à tirer parti du désordre et de l’anarchie. Ils protégent la contrebande, ouvertement, tout le long de la côte, au moyen de leurs croisières. Ils ne reculent ni devant les hostilités ni devant les insultes. À Carthagène, ils traitent en ennemi un petit bâtiment de guerre espagnol qui s’opposait à la contrebande. À Malaga, c’est le capitaine d’un bateau à vapeur de guerre anglais,l’Izard, qui menace de faire pendre, comme pirates, les équipages des garde-côtes espagnols qui arrêtent les bâtimens contrebandiers anglais. Par la frontière de Portugal, ils écoulent des tissus de coton ; mais du côté de Madrid leurs affaires sont moins bonnes, grace à une manufacture élevée aux environs de cette capitale. D’indignes Espagnols sont devenus leurs partisans et prêchent ouvertement leurs doctrines ; ils affirment gravement que leurs compatriotes ne sont pas faits pour être manufacturiers ; que le génie mobile, fier, paresseux, qu’ils ont reçu de l’Arabe, s’oppose à toute amélioration, tout progrès, toute discipline ; que l’Espagne, riche des produits naturels de son sol, doit se contenter de les vendre et de prendre des produits manufacturés de l’Angleterre ; que ses vins, ses fruits, ses laines, ses mines de mercure, sont des richesses qui ne demandent pas grand labeur pour être récoltées, et qu’elles suffiraient au pays. La Société économique des Amis du pays, de la ville de Cadix, a présenté un mémoire à la régence du royaume sur la nécessité d’un traité de commerce avec l’Angleterre. Dans ce mémoire sont tirées les conclusions suivantes, parfaitement d’accord avec les intérêts et les principes commerciaux de l’Angleterre.

1o Que l’Angleterre ne se refusera pas à un traité de commerce fondé sur des principes de justice et des avantages réciproques, et que l’Espagne pourra de la sorte donner de l’activité à son commerce et à sa marine, et favoriser le développement de l’agriculture, de l’industrie, et les revenus de l’état ;

2o Que la prospérité des Andalousies, qui dépend entièrement du commerce de ses vins, ne doit pas être sacrifiée à la protection des fabriques nationales.

3o Que les manufactures de coton de la Catalogne ne pourront jamais arriver à la perfection des manufactures anglaises.

Des Anglais parleraient-ils mieux ? La conclusion d’un traité de commerce avec l’Angleterre serait cependant le coup le plus fatal porté à l’Espagne. Ce serait lui préparer le sort du Portugal, tandis qu’avec un peu d’intelligence de ses intérêts commerciaux, ses hommes d’état peuvent lui assurer une