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même. Voilà comme on parle. Mille choses de ma part à nos amis communs.

« Adieu, tout à vous, etc.« Et. D. »


Ce grand avertissement ne découragea pas l’honnête Romilly, mais il se renferma dans le bonheur domestique et dans la mission qu’il s’était imposée, de réformer les lois anglaises. Plus tard, il vit la terrible usurpation du mensonge gagner et envahir l’Europe ; personne n’a mieux jugé la situation équivoque de la France en 1815. « Paris offrait pendant mon séjour, dit Romilly, un spectacle fort extraordinaire : — une métropole en état de paix, et livrée à une armée étrangère ; — un roi dépouillé de toute autorité, qui semblait spectateur indifférent et tranquille de ce qui se passait, tandis que des généraux étrangers affectaient de châtier son peuple, et prétendaient (ainsi s’exprime lord Wellington dans sa lettre justificative) en faire un exemple pour le temps à venir ; — des assemblées législatives croyant délibérer, pendant que les rues étaient remplies de baïonnettes, les canons postés au coin des quais, et les mèches allumées, pour qu’au premier signe de résistance les habitans écrasés sentissent le poids de leur désastre. — Au milieu de tout cela, les négociations du traité de paix continuèrent, traité qui évidemment ne sera rien autre chose que la volonté du vainqueur. »

Il ne quitta point les whigs et ne se confondit point avec les radicaux. Pas une bassesse, pas une faiblesse, pas une concession ne lui échappèrent et ne le flétrirent. Après avoir corrigé ou réformé plus de deux cents lois ou fragmens de lois antiques chargées de la rouille et de l’inhumanité des temps féodaux, il jouissait d’une popularité douce et d’une gloire sans mélange d’amertume, quand la mort de sa femme qu’il adorait le frappa au cœur. Deux jours après il se tua. Dumont, le directeur de sa conscience politique, accourut de Genève et ne trouva plus que le cadavre de cet être excellent et si gracieusement vertueux. J’ai dit quel deuil unanime couvrit la Grande-Bretagne ; le même peuple qui avait eu des hommages et des couronnes pour l’impudique Caroline, couvrit de larmes le tombeau de Romilly.

Le style anglais de Romilly est plein de charme et de simplicité. Le mot saxon n’y abonde pas, et une certaine tournure lente à la fois et exquise le rapproche du style français d’Arnauld d’Andilly et de Fénelon. Ce n’est point une chimère et une subtilité de philologue, d’affirmer que les races et les familles conservent plus long-temps