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frère, et qui rime pour philosopher comme Émile philosopherait au besoin pour rimer, M. Antoni Deschamps se paie le plus souvent de mots et de rubriques. Poète plus que moraliste (nous persistons à le croire, quoi qu’il en dise), il s’en tient, la plupart du temps, à la couleur des choses, couleur changeante, comme on sait, et qui varie selon le point de vue où l’on se place ; de là ces contradictions sans nombre qui s’expliquent avec le poète, et dans lesquelles la philosophie n’a rien à voir. Si vous parlez à M. Antoni Deschamps de la logique des faits, de l’enchaînement historique des constitutions sociales, il vous répondra qu’il aime autant y croire que d’y aller voir, et n’en continuera pas moins à chanter que le catholicisme est une déviation de la parole évangélique, qu’il se sent dans l’ame une ineffable tendresse pour saint Jean, l’apôtre aux blonds cheveux, le poète, et répudie saint Paul, l’organisateur furieux, l’homme politique, ce qui n’empêche pas M. Antoni Deschamps de se croire, dans l’occasion, un catholique exemplaire. Convenons aussi qu’en pareille matière un peu d’étude ne nuirait pas, et qu’on aimerait voir le sentiment poétique s’éclairer ici de connaissances plus sérieuses que celles qu’on peut tirer de ces éternelles discussions sur l’art, si fort en vogue aux beaux jours de la restauration, de ces querelles en plein air, de ces conférences à bâtons rompus. Causeur spirituel, ardent, infatigable, c’est surtout dans la conversation à la manière des péripatéticiens que M. Antoni Deschamps puise les sujets de ses poésies et les dispositions satiriques, élégiaques, pathétiques, qui l’animent tour à tour. Chaque matin, le poète descend de sa montagne, apportant, formulé en quinze ou vingt vers (souvent moins jamais plus), l’entretien philosophique de la veille, et cherchant à la pipée, comme eût dit Régnier, quelque bonne rencontre dont s’alimente son inspiration de la soirée. C’est sur la voie publique que M. Antoni Deschamps prélude à ses travaux. Quel dommage que Socrate, Platon, saint Paul lui-même, ne se promènent pas, à certaines heures de la journée, sous les arbres des Tuileries ! À défaut des morts illustres, M. Antoni Deschamps se contente des vivans, et la médiocrité en frac, la médiocrité qui se promène et qu’il interroge, lui tient lieu de l’homme de génie endormi dans la poussière des bibliothèques. Si l’auteur des Dernières Paroles n’a pas toujours bien pris la peine d’approfondir le passé, en revanche on peut dire de lui qu’il sait notre présent par cœur. Vous ne citerez pas un seul système aujourd’hui en renom que M. Antoni Deschamps n’ait arrêté au passage pour le consulter, pas une doctrine qu’il n’ait prise sous le bras pour causer avec elle, en cheminant, de omni re scibili et quibusdam