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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

geons complètement là-dessus l’opinion de M. Émile Deschamps, d’autant plus que pour continuer son idée, il n’a qu’à se laisser aller à ses airs naturels pour reproduire, à s’y méprendre, la physionomie éveillée et pimpante de son père, et qu’il grimace un peu toutes les fois qu’il veut ressembler à son voisin. Un madrigal bien tourné a son mérite, et quant à moi je le préfère à plus d’un long poème, et me range avec Despréaux à l’avis de ce grand philosophe qui soutenait qu’un écureuil entier valait mieux qu’un éléphant éclopé, l’éléphant fût-il blanc et de l’espèce de ceux que l’on adore aux Indes orientales.

Étrange mérite pour un éclaireur du romantisme, dira-t-on, que de ressembler aux petits poètes du XVIIIe siècle, et bizarre généalogie que Dorat, Voisenon et Boufflers pour le coryphée du bataillon sacré de 1825 ! Et cependant rien n’est plus vrai. Il s’en faut que M. Émile Deschamps ait reçu du ciel l’humeur belliqueuse et révolutionnaire : nature paisible, douce, heureuse, essentiellement bienveillante, s’il a combattu, milité, lutté, c’est pur hasard, croyez-le, c’est pour obéir à cette loi qui fait que les circonstances ont presque toujours plus d’empire sur nous que nos propres instincts. J’imagine que M. Émile Deschamps traduisait Horace et cultivait innocemment dans ses loisirs la muse des boudoirs et des ruelles, lorsqu’on vit poindre le crépuscule de la renaissance littéraire de 1820. Du premier coup, M. Émile Deschamps distingua ses meilleurs amis parmi les novateurs, Alexandre Soumet, Guiraud, Pichat et les autres. Avec la faculté d’enthousiasme qu’on lui connaît, porté comme il est à s’éprendre des idées (de la forme des idées), il n’en fallait pas davantage pour enflammer et développer chez lui une autre vocation. Les natures poétiques, on le sait, ne font rien à demi ; une fois engagé dans la sainte milice, il eut bientôt dépassé les autres, et gagné dans la bataille ses éperons d’or. Ceux qui assistaient à ces homériques journées se souviennent encore d’un muezzin fanatique prêchant la guerre sainte du haut des minarets de Shakespeare, d’un chevaleresque jeune homme pourfendant sans trêve ni merci les infidèles et leurs doctrines ; ce muezzin et ce héros, c’était M. Émile Deschamps. Et bien ! alors même, dans le plus fort du tumulte, son instinct français, son goût pour les petits vers, ne l’abandonnèrent jamais. Romantique, il se consola du madrigal classique avec le concetto italien ; et voilà qu’aujourd’hui (singulier retour des choses !) c’est par là qu’il se recommande à la génération nouvelle, par cette verve de bon aloi, par cette grace enjouée, cette humeur légère, qui caractérisent ses œuvres et seront toujours les