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PHILOSOPHES ET PUBLICISTES MODERNES.

yeux même de ceux qui ne pensent pas comme lui sur ce point. Outre son mémoire sur le Divorce considéré au XIXe siècle, il publia encore plusieurs écrits sur cette question, et ce fut lui qui dans la séance du 26 décembre 1815 proposa aux chambres d’user de leur initiative pour amener l’abolition du divorce. « Laissons, disait-il à la chambre des députés sur le point d’être dissoute, un monument durable d’une existence politique si fugitive dans la loi fondamentale de l’indissolubilité du lien conjugal. Premiers confidens des malheurs sans nombre que l’invasion étrangère a attirés sur notre pays, et ministres des sacrifices rigoureux qu’elle lui impose, nous nous ferons pardonner par nos concitoyens cette douloureuse fonction ; nous en serons soulagés à nos propres yeux, si nous avons le temps de laisser plus affermies la religion et la morale. » Le rapport fut fait par M. de Trinquelague dans un sens tout-à-fait favorable à la proposition, qui fut adoptée par la chambre, et convertie en loi, le 27 avril 1816, par 225 voix contre 11. Il est remarquable qu’en 1793, dans l’année qui suivit l’établissement du divorce, le nombre des divorces s’était élevé au tiers de celui des mariages.

On pense bien que M. de Bonald, en faisant de la femme le ministre du mari dans la famille, et en ne lui accordant qu’une autorité dérivée, a concentré ses droits comme ses devoirs dans le foyer domestique. La femme est une personne dans la famille et non dans l’état ; le père, seul dépositaire de l’autorité domestique, est le seul représentant de la famille dans la société, et M. de Bonald se montre fort irrité contre ces femmes de l’ancien régime « qui faisaient des généraux, des évêques, et ne voulaient plus faire d’enfans. » Il s’est du reste occupé beaucoup moins de la famille que de l’état. Dans cette société plus immédiate et plus simple, les rapports entre les personnes sont marqués d’une façon si explicite par la nature même des choses, nos intérêts et nos sentimens parlent si haut, que la philosophie n’a, pour ainsi dire, point d’autre tâche que de se mettre d’accord avec les mœurs.

Quelques autres doctrines de M. de Bonald n’ont dans son système qu’un intérêt tout-à-fait secondaire. Par exemple, on ne peut donner d’importance à ses opinions sur l’ame des bêtes. Il n’a rien dit d’original sur ce sujet ; mais il y a donné carrière à son imagination et à son esprit, et il ne se peut rien concevoir de plus amusant que la réfutation qu’il a faite des théories qui n’admettent entre les bêtes et nous d’autres différences que des degrés. Il nous transporte d’un coup de baguette dans le monde de La Fontaine, ou des Métamor-