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ment paternel doit donc encourager l’hérédité des professions, et, par l’établissement de jurandes ou maîtrises, couper pied à la concurrence. Par ce moyen, le pouvoir tient toujours les ouvriers dans sa main, car il est le maître de leur subsistance ; il les préserve de ces fumées d’élévation et d’orgueil, et les maintient dans une fortune médiocre qui convient à leur position. « C’est, dit M. de Bonald, dans cette disposition naturelle à l’homme, de contracter dans son enfance des habitudes qu’il conserve toute sa vie, qu’est la raison de l’hérédité des professions, sans laquelle une société ne peut subsister long-temps, et qui assure la perpétuité des métiers les plus vils et les plus périlleux, comme celle des fonctions les plus honorables… Comme la nature classe les hommes par familles, la société doit classer les familles par corps ou corporations… De là les jurandes ou maîtrises reçues dans tous les états chrétiens, et dont la philosophie, ce dissolvant universel, n’avait cessé de poursuivre la destruction sous le vain prétexte d’une concurrence qui n’a tourné au profit ni du commerçant honnête, ni des arts, ni des acheteurs. »

M. de Bonald a contribué plus que personne à faire disparaître le divorce de nos lois. Décrété en 1798, le divorce a passé en bien peu d’années par de nombreuses vicissitudes, et c’est une loi qui intéresse si profondément les mœurs, et qui touche à tant de passions, qu’il est presque impossible qu’on n’y porte pas souvent la main dans un pays où les lois sont faites par une assemblée nombreuse, souvent renouvelée, et presque toujours permanente. M. de Bonald, qui cherche la stabilité dans toutes les institutions et tient fort peu de compte des répugnances individuelles qu’il faut vaincre pour y parvenir, pensait avec raison que toute sa philosophie s’écroulerait, si le lien le plus étroit qui puisse exister entre les hommes n’avait pas lui-même un caractère indissoluble et sacré. Fidèle à sa théorie générale de la cause et du moyen, il fait de la femme dans la famille l’analogue de la noblesse dans l’état ; il lui donne les mêmes droits, les mêmes devoirs, et, pour employer ses expressions, la même inamovibilité. Il était d’ailleurs du nombre de ceux qui, dans cette question difficile et controversée, regardent le divorce comme absolument proscrit par la morale, et ne peuvent en conséquence accepter aucun accommodement avec des nécessités et des besoins d’une autre espèce. Le divorce est à ses yeux un brigandage commis par les deux parties fortes de la famille, sans égard pour les droits de la partie faible. Sous l’empire d’une telle conviction, M. de Bonald a mis à obtenir l’abolition du divorce une insistance qui doit l’honorer aux