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PHILOSOPHES ET PUBLICISTES MODERNES.

au sujet le droit de pétition. Les pétitions sont de deux sortes, législatives ou administratives : législatives, quand elles portent sur un objet d’utilité générale ; administratives, quand elles ne touchent que l’intérêt du pétitionnaire. M. de Bonald veut bien tolérer les pétitions administratives, qui ne sont proprement que des placets ; mais, si l’on accorde au sujet le droit de donner son avis sur une loi générale et d’exprimer une humble prière, il craint déjà que quelque parcelle d’autorité ne vienne à tomber dans les mains du peuple. La participation du peuple au pouvoir, même dans cet humble degré, est à ses yeux une contradiction manifeste ; le peuple est le second extrême dans la proportion géométrique dont le roi est le premier terme, et le noble l’intermédiaire ; le pouvoir est au roi, le noble en retient quelque part ; l’essence du peuple est d’obéir en silence, par la grande raison de la cause, du moyen et de l’effet. Que ces grands mots, que ces raisonnemens profonds se montrent bien dans toute leur puérilité, ainsi rapprochés d’une telle conséquence ! Mais cela est en même temps si odieux, qu’on ne songe pas au ridicule. M. de Bonald fit cette dernière campagne contre les libertés publiques, à propos de la pétition d’un père dont la fille avait été convertie dans sa pension, et avait abjuré le protestantisme. Ainsi d’un côté il repoussait les prières du peuple dans les chambres, et de l’autre il étouffait ses plaintes dans les journaux. Dans la monarchie de M. de Bonald comme dans la République de Platon, les gens du peuple ne sont là que pour épargner aux nobles des soins trop vulgaire. Platon les appelle citoyens, et M. de Bonald sujets ; mais qu’importe le nom ? À ce prix un citoyen ne vaut guère mieux qu’un esclave.

Le peuple s’accoutumera-t-il à la condition qu’on veut lui faire ? Tout cela ne se fait que pour son bonheur sans doute ; si pourtant il se trompe ? s’il méconnaît les intentions bienfaisantes des maîtres ? Si les philosophes lui persuadent une seconde fois qu’il a des droits aussi bien que des devoirs ? S’il parle d’égalité, de liberté, ces vaines chimères ? Le pouvoir, la noblesse, ont toutes les ressources ; mais le nombre ? Il faut donc multiplier les liens qui attachent le peuple à la terre ou à l’atelier. L’éducation lui est au moins inutile ; l’ambition lui est funeste. Quelle source de paix et de tranquillité, quand le peuple content de son sort ne songe pas à en sortir, quand le fils adopte la profession du père, et n’a d’autre but que de se perfectionner dans son art ! Le désir de s’élever ne tend qu’à déplacer les conditions et à détruire la stabilité des choses et des personnes ; le désir de la richesse a les mêmes effets désastreux. Un gouverne-