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et de foi, qui ne donnent peut-être pas la fermeté à ceux qui ne l’ont pas naturellement, mais qui l’augmentent dans ceux qui l’ont et donnent aux autres la résignation qui en tient lieu. La religion est la grande consolatrice de ce monde, et par conséquent elle n’est nulle part si bien venue que dans le voisinage du péril.

Enfin les Arabes, qui ne sont pas l’auditoire de l’église d’Alger, mais qui en sont pour ainsi dire les spectateurs, servent aussi cette église. Devant ce public attentif et sérieux, quoique opposé, elle se surveille avec un soin scrupuleux ; elle comprend qu’avec le caractère et l’esprit des populations orientales, qui jugent des civilisations par leur religion et non par leurs arts ou par leur administration, c’est l’église catholique qui est surtout chargée de faire comprendre aux Arabes la supériorité de la civilisation européenne. En effet, ce ne sont pas les merveilles de notre mécanique et les prodiges de notre industrie qui prouveront aux Arabes que nous sommes vraiment un grand peuple civilisé : la procession de la Fête-Dieu et les vertus de notre évêque d’Alger, les belles cérémonies et les bonnes œuvres (nous avons besoin des deux choses en Alger), feront plus d’effet sur eux que le pompeux attirail de nos ressources et de nos richesses. En Alger, ce n’est pas seulement l’église qui fait plus d’efforts sur elle-même, excitée qu’elle est par les regards des Arabes : les fidèles aussi seront plus disposés à pratiquer exactement leur culte. On a souvent remarqué que les Francs, en Orient, sont meilleurs chrétiens ou du moins chrétiens plus exacts qu’en Occident. Cela est naturel : en Orient, on n’est ni Allemand, ni Anglais, ni Italien ; on est Franc, c’est-à-dire chrétien, ou bien on est mahométan. C’est la religion qui fait la nationalité, c’est elle qui donne titre et caractère. Les Francs, en Orient, même ceux qui avaient pu rester insensibles à l’aiguillon que la persécution donne ordinairement à la piété, avaient bien vite compris, comme nous à Alger, que l’indifférence religieuse n’était pas le moyen de se faire respecter des Orientaux. De là la ferveur des Francs en Orient, ferveur qui tient au patriotisme. Cette ferveur a commencé, je le crains, à se relâcher à Constantinople et à Alexandrie, parce que les Francs ont maintenant en Orient, grace à la faiblesse des Turcs, mille autres moyens de se faire respecter. Mais à Alger, où, quoique victorieux, nous luttons contre un ennemi redoutable, la piété sera pendant long-temps encore un des plus sûrs moyens de se faire respecter des Arabes et de gagner leur estime. Or, l’estime des ennemis a un attrait irrésistible. Non que je veuille dire que les fidèles à Alger ne seront pieux que par calculs