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suspecte, tout présent empoisonné. Croit-on, d’un autre côté, qu’en Angleterre même les ullrà-protestans, ceux que la haine de l’Irlande catholique a seule jetés dans les bras des tories, pussent pardonner à sir Robert Peel un système de concessions et de temporisation ? Croit-on, par exemple, qu’ils laissassent abandonner paisiblement le bill de lord Stanley, ce bill qui, bien plus que la question des céréales, a renversé lord Melbourne ? Ce n’est point comme adversaire de la liberté commerciale, c’est comme ennemi de l’Irlande catholique que le parti tory vient de s’emparer du pouvoir. Si sir Robert Peel l’oublie, on aura soin de le lui rappeler.

De ces observations, je conclus que l’avénement des tories rend à M. O’Connell la royauté morale que lui avait enlevée jusqu’à un certain point la question de l’union. J’ajoute que cette question même, s’il le veut bien, peut aujourd’hui devenir formidable entre ses mains. Quel était en 1840 l’argument principal opposé à M. O’Connell par lord Charlemont ? C’est que la rupture de l’union ne peut se justifier tant qu’il reste un espoir quelconque d’obtenir justice de l’Angleterre. « Or, ajoutait lord Charlemont, cet espoir existe, puisque la majorité de la chambre des communes est favorable à l’Irlande. » Que devient cet argument aujourd’hui que la majorité de la chambre des communes est contraire à l’Irlande, et que le premier titre du ministère est de représenter en ce point la majorité ? Au mois de janvier dernier, un meeting a été tenu à Dublin sous la présidence du même lord Charlemont, pour s’opposer au bill de lord Stanley. Or, dans ce meeting qui comptait au nombre des signataires 43 pairs, 50 membres de la chambre des communes, plus de 400 magistrats locaux, et 1,000 propriétaires fonciers, membres du barreau et négocians, on adoptait à l’unanimité une résolution portant, entre autres choses, « que l’Irlande, comme portion essentielle de l’empire britannique, a droit à une égalité parfaite de franchises et d’institutions avec l’Angleterre et l’Écosse. » Croit-on qu’une telle résolution soit une lettre morte, et que, sous le règne des tories, elle ne puisse pas bientôt se transformer en une protestation terrible contre l’union ?

Quelques tories au reste s’y attendent et ne s’en troublent pas. Ce qu’il leur faut, c’est une insurrection comme celle de 1798, qui leur permette de conquérir de nouveau l’Irlande, de la garrotter, peut-être même de revenir sur l’émancipation, et de restaurer les vieilles lois pénales. Une si absurde, une si indigne pensée, ne peut être imputée à sir Robert Peel ni à aucun de ses collègues. Tout ce que le prochain ministre pourra faire, sans manquer à ses opinions et à