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DE LA CRISE ACTUELLE EN ANGLETERRE.

complices ? Quand le parti tory était une minorité, il ne savait pas modérer ses passions, dissimuler ses dissentimens intérieurs. Comment y parviendrait-il aujourd’hui, quand la majorité lui est acquise, et avec la majorité le gouvernement et la responsabilité ?

Qu’est-il besoin, au reste, de parler par hypothèse ? Au moment où j’écris, sir Robert Peel n’est pas encore ministre, et déjà éclate aux yeux les moins clairvoyans la profonde division de son parti. Ici ce sont les orangistes, qui, après avoir sifflé à Antrim le nom du duc de Wellington et celui de sir Robert Peel, parlent déjà de se reconstituer et de n’appuyer aucun ministère qui ne s’associerait pas pleinement à leurs passions insensées ; là c’est la vieille aristocratie terrienne, qui témoigne hautement du peu de confiance qu’elle a dans le fils du filateur de Tamworth, et qui le menace de sa colère s’il fait un pas hors du droit chemin. À Oxford enfin, c’est la haute église qui, dans son journal officiel, reproche à sir Robert Peel de n’avoir ni élévation dans l’ame, ni étendue dans l’esprit, ni fermeté dans le caractère. « Sir Robert Peel, dit la haute église, ne connaît rien hors de l’enceinte des communes. Il sait par cœur les chiffres relatifs de tous les votes de parti depuis un demi-siècle, et son pouls bat avec les divisions. Les résolutions de la chambre des communes, adoptées dans l’ardeur ou la précipitation de la lutte, sous la tyrannie royale ou populaire, dans les jours de corruption ou de violence, et les majorités de hasard de dix, deux ou une voix, voilà pour lui les canons inviolables de la législation, ceux au-delà desquels il n’aperçoit pas un principe. La chambre des communes est sa seule réalité ; toute autre chose ou toute autre pensée n’est à ses yeux qu’une forme et qu’une ombre. Ne demandez à ses discours ni théories splendides, ni larges inductions, ni sentimens universels, ni grandes maximes, ni sanctions solennelles, ni argumens profonds, ni principes invariables. Si parfois on les y rencontre, ils y viennent à titre d’exceptions qui prouvent la règle. Du commencement à la fin, sa carrière est une carrière d’expédiens et de détours. Impossible de savoir aujourd’hui ce qu’il fera demain. Il n’est pas d’instrument demi-rusé d’une petite faction locale, pas d’avoué faiseur d’affaires, pas d’agent municipal intrigant, pas de factotum d’une corporation qui, par ses tripotages, dégrade l’administration civique autant que le chef conservateur dégrade la noble science de la politique. Aimable et bienveillant, mais égoïste par-dessus tout, cet homme est petit avec les nations, petit avec notre vieille constitution, et, ce qu’il y a de plus triste, infidèle à l’église éternelle et universelle. »