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DE LA CRISE ACTUELLE EN ANGLETERRE.

Lord Aberdeen, à qui sans doute seront confiées les affaires étrangères, a déjà rempli les mêmes fonctions, et, sans y jeter beaucoup d’éclat, a acquis la réputation d’un homme d’esprit et d’un habile diplomate. Il a, dit-on, fort approuvé la nouvelle politique de lord Palmerston, et il est peu probable qu’il s’en écarte. Lord Aberdeen, d’ailleurs, est modéré, et sans aucune espèce de malveillance personnelle pour la France ; mais, quand on est Anglais et tory, on voit nécessairement les choses d’un point de vue qui se trouve à mille lieues du nôtre.

Des deux collègues de lord Grey qui ont accompagné lord Stanley dans sa retraite, l’un, le duc de Richmond, sera peut-être vice-roi d’Irlande, et l’autre, lord Ripon, entrera probablement dans le cabinet. Jusqu’au ministère qu’il a dirigé sous le nom de lord Goderich, lord Ripon, alors M. Robinson, avait acquis, en qualité de ministre des finances, beaucoup de réputation et de popularité ; mais son échec comme premier ministre l’a fait descendre au second rang, d’où il ne s’est plus relevé. Ce rang, il le tient encore avec honneur. Si ses discours ont peu de brillant et de vivacité, ils s’appuient en revanche sur l’étude approfondie des questions et sur un choix précieux de documens. L’accession de lord Ripon, si elle a lieu, sera, à plusieurs titres, fort utile au ministère Peel.

Tels sont, selon toutes les probabilités, les personnages principaux du prochain cabinet, et certes, pour l’expérience des affaires et pour le talent, ce ministère est fort supérieur à celui qui vient de tomber. Mais dans un pays libre, l’expérience et le talent, même quand la majorité parlementaire leur est acquise, ne suffisent pas toujours au gouvernement. Il faut encore que, ni dans les choses ni dans les hommes, il ne se rencontre des difficultés insurmontables. J’arrive ainsi à la partie la plus importante et la plus délicate de cet exposé. Le ministère Peel une fois constitué, quelles sont pour lui, soit dans les circonstances extérieures, soit au sein même du parti d’où il sort, les causes de force ou de faiblesse, de durée ou de ruine ? quelles sont, en un mot, ses conditions d’existence et ses chances d’avenir ? C’est ce que je vais examiner avec autant d’impartialité qu’il me sera possible.

Ce n’est certes pas une situation facile que celle d’un chef de cabinet conservateur en face d’une opposition libérale de près de 300 membres, maîtresse des sympathies avouées de la reine, et soutenue au besoin par l’agitation populaire. Ce serait une situation impossible pour un parti qui n’aurait pas de très profondes racines