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DE LA CRISE ACTUELLE EN ANGLETERRE.

Aujourd’hui, le prix excessif de la viande n’a pu obtenir la diminution des droits sur les bœufs belges ou allemands. Quand l’esprit démocratique de la France n’a pu secouer le joug de toutes ces vieilles et fausses notions économiques, comment s’étonner que l’esprit aristocratique de l’Angleterre en soit encore embarrassé ? Il ne manque pas plus en Angleterre qu’en France d’écrivains et d’orateurs pour prouver que le beau idéal pour chaque nation est de produire elle-même tout ce qu’elle consomme, de philosophes pour établir que le peuple n’est jamais plus heureux et plus riche que lorsqu’il paie très cher sa viande et son pain, de statisticiens pour calculer combien de shillings et de pence l’introduction de chaque hectolitre de blé étranger dérobe aux ouvriers du pays.

Ce n’est pas tout. Si tous les baux devaient finir le jour où la loi serait rendue, on parviendrait peut-être à démontrer aux fermiers et à ceux qu’ils emploient que le changement n’aurait rien de défavorable pour eux ; mais, on le sait, les baux en Angleterre sont en général à long terme, de sorte que, pendant un certain nombre d’années, les fermiers plus encore que les propriétaires risquent d’être frappés. De là parmi la classe agricole, à tous les degrés de l’échelle, une vive et puissante opposition. Il ne faut pas enfin oublier que le système protecteur, si fortement constitué en Angleterre, malgré les dernières réformes de M. Huskisson, s’applique à une foule d’industries diverses dont plusieurs se croiraient perdues, s’il cessait d’exister. Or, ces industries n’ont pas besoin d’une grande perspicacité pour comprendre qu’une fois le principe de liberté proclamé pour le blé, pour le sucre et pour le bois, leur tour ne tardera pas à venir. C’est, on s’en souvient, ce qui arriva en France quand en 1828 on parla de modifier le tarif relativement aux fers. Les autres industries protégées ne virent d’abord dans cette mesure que l’avantage d’avoir le fer à bon marché et se coalisèrent contre lui ; mais elles s’aperçurent bientôt qu’une fois la brèche faite elles y passeraient toutes : elles firent donc leur paix avec le fer, et la réforme échoua. En Angleterre, quelque chose de semblable se manifesta dès le lendemain de la présentation du budget ministériel, et c’est ce que les journaux whigs et radicaux appellent l’abominable coalition des monopoleurs. Cette coalition pouvait être contraire aux véritables intérêts du pays ; mais elle était inévitable, et l’on avait tort d’en être surpris.

Toutes ces oppositions, au reste, étaient prévues ou devaient l’être ; il en surgit une cependant d’une toute autre nature et sur laquelle on