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même sont loin d’avoir adopté chaudement les dernières mesures ministérielles. Il y a un an, on calculait qu’une dissolution donnerait aux conservateurs une majorité d’une trentaine de voix tout au plus. Depuis ce moment, le ministère a joué sa dernière carte, et cependant les conservateurs auront 80 voix de majorité. D’où peut venir cet étrange résultat ?

Il y a dans l’esprit humain une tendance naturelle à chercher partout une idée ou un fait unique, et à tout expliquer à l’aide de cette idée ou de ce fait. Ainsi, quand la crise a commencé, on disait que c’était la lutte de l’aristocratie et de la démocratie ; rien de plus ni de moins. Aujourd’hui qu’elle s’est terminée contrairement à l’opinion qu’on s’en faisait, on dit que le succès des tories doit être attribué à la corruption. Mais de tous les pays du monde, l’Angleterre est celui qui se prête le moins à la simplicité séduisante et commode de ces formules et de ces explications. Et d’abord, si par « lutte de l’aristocratie et de la démocratie » on entend la lutte des idées anciennes et des idées nouvelles, de l’esprit libéral et de l’esprit conservateur, on a raison. Si l’on entend la lutte de deux classes distinctes, on a tort, car il est de fait que, dans le combat, la vieille aristocratie anglaise s’est divisée en deux portions égales à peu près. Peut-être même y a-t-il eu, du côté des whigs, plus de noms historiques que du côté des tories. Les journaux whigs et même radicaux n’ont pas manqué, au reste, de le faire remarquer et de s’en prévaloir presque autant que de l’appui de la reine. « Ce qui doit encourager les réformistes, disaient au moment même de l’élection plusieurs feuilles de cette couleur, c’est qu’ils ont avec eux les représentans principaux de la vieille noblesse anglaise, les Cavendish, les Russell, les Howard, les Grovenor, les Grey, les Gower, les Fitzgerald et même les Stanley, à une seule exception près ? » Et à cette liste éclatante les mêmes feuilles opposaient avec dédain l’humble origine des Peel, des Lyndhurst, des Scarlett et de tant d’autres conservateurs renommés.

Quant à la corruption, il y en a eu beaucoup sans doute, comme il y en aura toujours là où le vote descend jusqu’aux classes dépourvues d’aisance et de lumières, là où la richesse doit obtenir de la pauvreté l’objet de son ambition. Mais les whigs ne sont ni moins riches ni moins scrupuleux que les tories, et, si un tribunal était chargé de les juger les uns et les autres, il n’aurait rien de mieux à faire que de les renvoyer dos à dos, dépens compensés. Il y a peu de jours, dans une lettre fort curieuse, le correspondant d’une feuille française