Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.
370
REVUE DES DEUX MONDES.

au lieu de signatures ; mais cette circonstance, au lieu d’exciter votre hilarité, devrait vous couvrir de confusion. Si le peuple est ignorant, c’est la faute de ceux qui ont le moyen de l’instruire et qui s’y refusent. L’ignorance du peuple n’est pas son crime, il est le vôtre, milords. »

Voilà le langage que se laisse tenir en face l’aristocratie anglaise dans la chambre même où sa puissance est irrésistible. Vers la fin de la session, lord Fitz-William reçut au reste un renfort considérable dans la personne de lord Brougham, qui, revenu du continent, trouva moyen de soutenir le budget ministériel, tout en attaquant ceux qu’il persiste à appeler ses amis. Toutefois la chambre des lords n’en resta pas moins, à une immense majorité, plus contraire encore au budget ministériel qu’aux ministres, et bien déterminée à lutter activement, sur tous les points du territoire, pour ses opinions et pour ses revenus.

Voilà donc quelle était au moment de la dissolution la situation du cabinet dans les deux chambres. À la chambre des communes, il avait contre lui une majorité d’une voix sur la vieille question de parti, une majorité de 36 voix sur les questions nouvelles auxquelles il venait de lier son existence. À la chambre des lords, tout au plus trouvait-il encore quelques rares défenseurs. Mais si le parlement se retirait de lui, la reine lui restait, et il comptait sur le pays. Parlons d’abord de la reine.

Dès son avénement, on le sait, la reine s’était montrée beaucoup plus favorable aux whigs qu’aux tories, à lord Melbourne qu’à sir Robert Peel. Néanmoins, jusqu’à la crise de 1839, rien n’indiquait de sa part une répugnance absolue pour les chefs des conservateurs. Depuis cette crise, au contraire, la reine, avec la volonté opiniâtre et passionnée qui la distingue, ne ménageait plus rien et se faisait ouvertement l’adversaire des tories et la protectrice des whigs. Est-ce seulement à l’affaire des dames du palais qu’il faut attribuer cette conduite ? Tout le monde l’ignore, excepté peut-être sir Robert Peel et lord Melbourne. Tout ce que l’on sait, c’est que, le jour où le cabinet tory se rompit, sir Robert Peel resta long-temps enfermé avec la reine, qu’après l’entrevue celle-ci se montra fort animée et que sir Robert Peel, interrogé sur ce qui s’était passé, a constamment gardé, même avec ses amis intimes, un silence absolu. On peut penser que le vote des tories, quand ils firent réduire la dotation du prince Albert et l’empêchèrent de prendre légalement le pas sur les princes du sang, ne contribua pas à leur réconcilier les affections de la reine.