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confondait avec une foule d’autres questions que l’on produit régulièrement sur le théâtre parlementaire une fois par an, et qui, après une représentation froide et vide, rentrent paisiblement dans les cartons jusqu’à l’année qui suit. C’est ainsi qu’en 1837 la motion de M. Clay sur ce grave sujet fut, après un court débat, rejetée par 226 voix contre 86 ; qu’en 1838, dans la chambre des communes qui vient d’être dissoute, M. Villiers fut moins heureux encore, et n’obtint que 35 voix contre 300. L’an dernier, à la vérité, le même M. Villiers réunit en faveur de sa proposition jusqu’à 177 voix, au nombre desquelles des communes ; mais ce fut après un débat plus lourd, plus traînant, plus insignifiant encore qu’à l’ordinaire. Quant à la chambre des lords, c’est tout au plus si les trois grands adversaires de la loi des céréales, lord Brougham, lord Fitz-Williams et lord Radnor, pouvaient entraîner à leur suite une douzaine de voix. Dans cette chambre, d’ailleurs, whigs et tories, ministère et opposition, fraternisaient sur cette question, et le chef du cabinet envoyait dédaigneusement à Bedlam ceux qui, en la prenant au sérieux, jetteraient la confusion dans le pays, et armeraient l’une contre l’autre les diverses classes de la société.

Tout cela bien compris, il est aisé de se figurer l’effet que dut produire et que produisit la déclaration inattendue du cabinet. Ce fut un vrai coup de théâtre qui en un instant changea toutes les situations, bouleversa toutes les combinaisons. Jusqu’alors dans la majorité qui soutenait lord Melbourne, l’élément whig dominait, bien que numériquement le plus faible. À dater du discours de lord John Russell, l’élément radical prenait définitivement le dessus. C’en était fait aussi de tout espoir d’accommodement entre les tories et les whigs, et de la formation d’une majorité intermédiaire qui laisserait les radicaux à gauche, à droite les ultrà-tories. Par un seul mot, lord John Russell et ses collègues venaient de se couper toute retraite ; par un seul mot, ils venaient de se faire, pour long-temps peut-être, les chefs des radicaux modérés.

La discussion qui suivit la présentation du budget est trop récente et a été trop remarquée pour qu’il soit nécessaire de s’y arrêter. Il faut pourtant dire quelques mots de l’attitude singulière que prirent dans cette discussion les tories modérés. Tandis que le ministère s’efforçait, malgré la défection prévue de quinze ou vingt whigs, d’attirer tout le débat sur les trois mesures nouvelles, surtout sur celle qui touche au prix du pain, les tories modérés se gardaient