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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

recouvrent. Cette végétation est due aux averses qui tombent tout au plus une fois dans l’année, mais avec une telle abondance, qu’elles forment des torrens, balayant tout sur leur passage, enlevant hommes et chameaux, quand il s’en trouve, et déracinant les arbres. Les plantes qui ont fléchi sans rompre, les arbres qui ont résisté au choc, puisent dans cette espèce de fléau les élémens d’une nouvelle vigueur.

Redescendu de Qenéh à Siouth, j’en partis le lendemain de Pâques pour le Caire, avec l’intention de m’arrêter en quelques endroits afin de compléter mes documens archéologiques ; mais de nouvelles contrariétés m’attendaient du côté de Mellaouy-el-Arich, au village d’Ajy-Kandyl, voisin des ruines de Psinaula. J’avais dû, lors de mon dernier passage, abandonner mon travail presque achevé à cause des menaces que me faisaient les habitans de l’endroit. Ils prétendaient me reprendre l’or que j’allais, selon eux, faire chaque jour à la montagne, et, sous ce prétexte, ils m’auraient pillé ; ils sont connus pour leur méchanceté. En quittant ces lieux, je comptais bien y revenir, et j’y fis effectivement arrêter ma barque il y a quelques jours. Hélas ! cette fois, c’était bien pis ; le village était en révolte ; les femmes, enfans et bestiaux, réfugiés au désert ; les hommes armés, et prêts à l’attaque comme à la défense. Le gardien de nuit qu’il m’avait fallu prendre parmi eux, commença par exiger un salaire excessif, et, sur ma réclamation, d’autres vinrent, tenant les propos les plus hardis et les plus sanglans contre le pacha, contre les Francs, et menaçant de piller ma barque, ou au moins de prendre mon âne, si je ne les satisfaisais pas. Déjà ils avaient dit que je méritais la mort pour ne leur avoir pas encore offert la pipe, le café et l’eau-de-vie. Ils prétendaient aussi m’escorter à la montagne au nombre de dix, et pour une somme exorbitante, ajoutant que, si je m’avisais d’aller seul aux monumens, je n’en reviendrais pas. Leurs discours à main armée n’étaient rien moins que rassurans, et quoiqu’il m’en coûtât de renoncer à mon projet pour une demi-journée de travail, je jugeai prudent de gagner le large, non sans une lutte préalable et qui faillit devenir sanglante ; il fallut néanmoins payer le garde de nuit et transiger, pour tirer, des mains des uns, mon âne, des mains des autres, la corde de ma barque, qu’ils ne voulaient point lâcher. Une fois libre, je leur adressai deux coups de fusil à balles ; mais il s’y attendaient et avaient disparu dans les blés.

Je dus passer sans toucher à Mellaouy, où la peste faisait de grands ravages ; ainsi, je naviguais entre deux fléaux. La nuit suivante, j’eus