Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
REVUE DES DEUX MONDES.

oubliée une fois parti. D’ailleurs, je me trouvais si heureux d’être revenu et de pouvoir m’étendre indéfiniment sur mon matelas de coton, que je m’absorbais dans cette jouissance, et que je restais indifférent à tout le reste ; je dois dire pourtant que ce bonheur même n’était pas sans mélange, car mes rêves, véritables cauchemars, me reportaient constamment dans le désert ; je voyais sans cesse devant moi des vallées sans fin, un horizon sans bornes, et je me réveillais épouvanté.

Je ne sais si d’après les détails qui précèdent vous avez pu vous faire une idée juste du désert, de ses ennuis et du mode de transport. Je ne connais rien de plus pénible et d’une monotonie plus abrutissante que cette manière de voyager au pas égal et silencieux du chameau. Son allure fatigante donne au corps, qui fléchit sur lui-même, un balancement rude qui ne permet ni de prendre des notes, ni même de lire. L’œil et l’esprit sont également fatigués de cette continuité de plaines ou de vallées se succédant les unes aux autres pendant des journées sans fin. Vous arrivez à l’horizon, et devant vous reparaît un horizon semblable. L’ennui d’une grande route en diligence n’est rien auprès de celui-là. Le désert, toutefois, n’est pas aussi dépourvu de variété qu’on pourrait le croire, surtout quand on passe des plaines dans la région montagneuse, où les accidens pittoresques se produisent par intervalles. Vous voyez de noirs sommets, des crêtes bizarrement découpées, s’échelonner dans le lointain et se perdre dans l’azur de l’air ; l’imagination cherche des géans au fond des sombres précipices, et voudrait remettre en action la guerre des titans et des dieux, mais Pélion sur Ossa ne seraient que des collines auprès des énormes montagnes qu’ici les feux de la terre ont soulevées contre le ciel.

Ce qui ajoute encore au caractère grandiose de ces lieux, c’est une végétation tellement abondante en certains endroits, qu’on se croirait dans un pays riche et fertile. Devant un tel spectacle, je n’ai plus taxé de mensonge les peintres qui nous ont représenté le désert peuplé de grands arbres, et je rends la justice qu’ils méritent aux Mola, aux Carrache et aux Poussin. J’ai été surpris, je l’avoue, d’une pareille végétation. On y voit en effet des arbres de toutes les grandeurs et de tous les âges, un peu disséminés, il est vrai, mais assez nombreux pour offrir, à quelque distance, l’aspect de vastes fourrés, tandis que le sol est couvert d’épaisses touffes d’absinthe, d’hysope, de petite camomille et d’autres plantes dont l’éclatante verdure contraste avec le sable et l’aridité du sol qu’elles