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REVUE. — CHRONIQUE.

La nationalité grecque s’est éveillée. Contenue jusqu’ici par la main puissante de Méhémet-Ali, elle repousse la domination stupide et violente des Turcs. Certes nos vœux sont pour les insurgés, à une condition cependant : c’est que le but de l’insurrection soit ou la réunion de l’île au royaume de Grèce, ou, si cela est, comme nous le pensons, impossible, son indépendance absolue, ou du moins une administration séparée, ne reconnaissant d’autre suzerain, d’autre protecteur que le sultan. Il y a là une proximité qui, quoi qu’on dise, nous est fort suspecte. Il ne faut pas que Candie grossisse le noyau des Sept-Îles. Ce n’est pas là de la nationalité grecque. Il circule à cet égard des bruits que nous ne pouvons ni garantir ni approfondir. Il importe que le gouvernement français redouble d’attention et de vigilance. Qu’on ne vienne pas un jour, à propos de Candie, nous parler de faits accomplis.


— Les théâtres traversent depuis quelque temps une crise dont nul ne peut prévoir la durée. Le public est arrivé au dernier terme de l’indifférence, et les écrivains semblent s’efforcer à l’envi de l’entretenir dans son triste sommeil. Devait-on croire, il y a dix ans, que tel serait le but où arriverait le drame moderne ? Nous ne chercherons pas qui du public ou des poètes il faut accuser de ce qui arrive ; pour nous, la question n’est pas douteuse. La partie était belle, si l’école nouvelle avait su la jouer, si aux premières et bouillantes ébauches avaient succédé les œuvres patiemment maîtrisées et dictées par un amour modeste et sérieux de l’art. Il n’en a point été ainsi, on le sait, et le public, plein d’abord de curiosité bienveillante, s’est vu amené peu à peu à cette apathique insouciance où nous le voyons plongé. Ce n’est pas chose facile à présent que de tirer les écrivains de leur indolence et les spectateurs de leur ennui. La Comédie-Française a été le seul théâtre qui, dans ces derniers temps, ait cherché à lutter contre la crise où se débat la littérature dramatique. C’est surtout par la multiplicité et la variété des tentatives, qu’elle a essayé de suppléer à l’absence des grandes œuvres et au silence des écrivains éminens. En peu de jours, quatre pièces nouvelles ont été représentées à la salle de la rue Richelieu ; parmi ces pièces, deux auraient mérité de paraître en des temps plus favorables. Sous la restauration, par exemple, époque d’indulgence peut-être, mais d’activité aussi, des applaudissemens beaucoup plus nombreux auraient accueilli, nous le croyons, la dernière comédie de M. Casimir Delavigne, et même la nouvelle tragédie de M. Alexandre Soumet. Le Conseiller rapporteur n’est-il pas en plus d’une scène un fort agréable pastiche de la vive et franche manière de Lesage ? À une époque où le vaudeville empiète chaque jour sur le domaine de la comédie, c’est chose rare qu’une œuvre gaie et sans prétention, qui excite le rire sans jamais descendre à l’hilarité grossière. On néglige de plus en plus cette veine de gaieté simple et naïve dont Picard semble avoir exploité les derniers trésors. La tentative de M. Delavigne est donc mieux qu’un aimable caprice, c’est un ingénieux essai que nous désirons voir se poursuivre quelque jour. Quant à la tragédie de M. Soumet, c’est une de ces œuvres où l’exécution ne se soutient malheureusement pas toujours à la hauteur des prétentions du poète. L’auteur de la Divine Epopée ne se mesure guère l’espace, on le sait.