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REVUE. — CHRONIQUE.

moins vrai qu’elle a franchi sans sombrer les passages les plus redoutables de sa difficile carrière, et qu’elle avance désormais, péniblement sans doute, mais nécessairement, vers un meilleur avenir. Le jour viendra où le parti modéré, qui ne manque pas de lumières, aura honte de son inaction et du mal qu’elle fait au pays ; le jour viendra où le parti des campagnes, le parti carliste, absolutiste, monacal, pénétré, modifié à son insu par les idées du temps, sentira ses aveugles rancunes s’apaiser, verra ses préjugés se dissiper, et rougira de voir les amis de l’ordre partagés en deux camps ennemis pour être témoins impassibles et quelque peu ridicules des emportemens d’une poignée d’énergumènes, disciples serviles d’une école étrangère, utopistes insensés dont les idées et les projets n’ont rien d’espagnol.

En Suisse, la diète extraordinaire doit se réunir demain à Berne pour s’occuper de la question argovienne. D’après les délibérations cantonales, il est hors de doute aujourd’hui que le parti modéré peut seul former en diète une majorité. Si les cantons de l’extrême gauche et de l’extrême droite, ou, comme on dit, les radicaux et les sarniens, ne lui apportaient pas, soit les uns, soit les autres, un nombre de voix suffisant, qu’en résulterait-il ? L’inaction, l’impuissance de la diète. Cela ne peut convenir ni aux sarniens, puisque le statu quo serait cause gagnée pour l’Argovie, ni aux radicaux, car, il est juste de le reconnaître, ils aiment trop leur pays, ils sont trop bons citoyens pour vouloir donner à l’Europe le triste spectacle de l’impuissance de l’autorité fédérale. On peut sans doute désirer, appeler de tous ses vœux la réforme de cette autorité ; on peut la désirer plus forte, plus appropriée aux circonstances nouvelles où se trouve placée la Suisse. Toujours est-il que la diète est aujourd’hui l’ancre de salut pour la confédération ; c’est dans la diète qu’est tout entière l’importance politique, la force morale du pays, à l’intérieur et à l’extérieur. Le jour où la diète se trouverait frappée d’impuissance, le jour où il serait démontré qu’elle n’a plus d’action sur le pays, que les individualités cantonales, récalcitrantes, égoïstes, ne peuvent plus former un faisceau, et présenter à la Suisse, à l’Europe, une majorité respectée et respectable, la confédération suisse ne serait plus qu’un vain mot, un mot que personne ne voudrait prendre au sérieux. Il en est des états comme des particuliers. Un grand seigneur pouvait se livrer à ses caprices, faire des folies ; moralement il n’en était que plus coupable ; en fait, son rang, ses richesses, sa parenté, sa clientelle, sa puissance, le mettaient à couvert des conséquences de ses excès. Un bourgeois au contraire, pour faire son chemin dans le monde, a besoin d’une conduite régulière, d’une vie honnête, de l’estime de ses voisins, de cette faveur que le public n’accorde réellement qu’aux hommes sans reproche.

La diète suisse, dans ces dix dernières années, dans ces années si pleines pour elle de périls et de difficultés, a fait preuve en mainte circonstance de force et de modération. Par sa sagesse et son énergie, elle a prévenu de grands malheurs. Nous sommes convaincus qu’elle ne manquera pas à la Suisse dans la circonstance actuelle. Elle trouvera moyen de concilier avec la dignité du