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y a de ces rivalités de théâtre faites pour rendre à une cantatrice toute la jeunesse, tout l’éclat de la voix et du talent. Si pareille émulation pouvait agir sur la jeune virtuose et la pousser à conquérir un peu de cette méthode et de ce goût dont rien ne saurait vous dispenser au théâtre ! Au reste, Mme Anna Thillon est toujours cette jolie Anglaise que nous avons connue autrefois à la Renaissance, cette aimable bergère de Watteau qui minaude assez agréablement et confie à ses œillades le soin de faire passer tout ce que ses gammes chromatiques et ses trilles ont d’incorrect et d’erroné, et certes, sur ce point, il n’y a rien à dire. Les yeux de Mme Thillon chantent et vocalisent à ravir ; mais franchement il ne suffit pas d’un joli minois, si vaporeuses et si blondes que puissent être d’ailleurs les touffes de cheveux qui l’encadrent, pour recueillir, même à l’Opéra-Comique, l’héritage de Mme Damoreau. Nous voudrions bien ne pas nous montrer sévère à l’égard de Mme Thillon ; elle est si jeune ! va-t-on dire ; et d’ailleurs, à cet âge, Mme Damoreau faisait-elle beaucoup mieux ? Non sans doute. Mais au début de sa carrière Mme Damoreau suivait déjà une direction intelligente, et, tout en occupant un emploi secondaire au Théâtre-Italien, se préparait par l’étude à tenir le rôle brillant qu’elle a joué depuis. Ici, au contraire, que voyons-nous ? Une jeune femme assez heureusement douée, se lançant de prime-abord dans toutes les difficultés de l’art, et cela sans être encore le moins du monde cantatrice ou comédienne, sans avoir travaillé sa voix, sans en avoir réglé l’intonation, égalisé les registres, dans toute l’inexpérience d’une élève de six mois, et, qui plus est, d’une étrangère qui ne sait rien de notre prosodie et parle un jargon presque inappréciable. Pourquoi Mme Thillon reculerait-elle devant le répertoire de Mme Damoreau, elle qui, dans la Lucia, n’a pas craint d’aborder les points d’orgue éblouissans de la Persiani ? On a pu, au commencement, encourager de pareilles tentatives et n’y voir que le caprice d’une jeune femme impatiente de s’essayer enfin dans un rôle de cantatrice ; mais aujourd’hui que Mme Thillon songe décidément à se poser en prima donna, il faut qu’elle invente autre chose que ces cascades de notes douteuses qu’elle éparpille avec tant de gentillesse enfantine et d’adorable mauvais goût. Que la jeune virtuose y prenne garde, sa physionomie vaporeuse occupe dans sa manière de chanter une cavatine beaucoup plus de place qu’il ne convient ; et puisque rien n’est éternel au théâtre, puisque tout passe, même le talent, même le plus légitime succès, il pourrait bien se faire qu’un jour, lorsque sa jolie bouche sera moins rose, lorsque ses cheveux tomberont moins touffus et moins cendrés sur ses fraîches épaules, le public ne vît plus en elle qu’une cantatrice de province.

Si nous ne parlons qu’à de lointains intervalles des solennelles matinées du Conservatoire, c’est qu’en vérité toute formule d’éloge semble épuisée à l’égard des chefs-d’œuvre qui composent le répertoire de la société des concerts. Que dire, en effet, de la symphonie en ut mineur, de la symphonie en la, de l’ouverture d’Euryanthe, de Fidelio, d’Egmont ou de Coriolan ? La symphonie pastorale faisait les honneurs de la dernière séance. Avec Beethoven, il n’y a point à choisir ; au milieu de tant de magnifiques conceptions,