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REVUE MUSICALE.

d’aise à cette musique vêtue de velours et coiffée à l’oiseau royal comme un bon gentilhomme du vieux temps, qui, sans penser à déguiser son allure un peu caduque, marche dans sa dignité au milieu des générations nouvelles qui le vénèrent et l’admirent. Ce dilettantisme-là suffirait au besoin pour assurer la fortune de Mlle Loewe en Angleterre. Il y a surtout un vieil air de Graun écrit pour la Mara, et que la jeune cantatrice dit à ravir. Qui connaît Graun en France ? Ce musicien du siècle de Frédéric a cependant composé avant Sébastien Bach un oratorio de la Passion, qui est tout simplement un chef-d’œuvre. Il y a dans tous les temps et dans tous les pays de ces hommes de génie dont la destinée est de vivre et de mourir obscurs, et de travailler pour d’autres qui viennent ensuite largement moissonner dans leur champ. Graun est un de ceux-là, un de ceux qui préparèrent Gluck. Qui pourrait dire tout ce que l’immortel auteur d’Iphigénie doit à cette vieille école allemande du temps de Frédéric ? Il est vrai que d’autres en ont usé de même à son égard, et ne se sont pas fait faute de puiser dans son bien, Mozart tout le premier, qui prend sans se gêner dans Armide l’appel lugubre du commandeur pendant le duo du second acte de Don Juan. On connaît ce mot du grand maître, un jour qu’un de ses amis lui mettait sous les yeux l’identité des deux passages : « Eh pardieu ! je le sais bien, lui dit Mozart ; je n’aurais pas fait mieux que Gluck, et je n’ai pas voulu faire plus mal. » Le plagiat dans les arts s’explique à merveille, pourvu que le génie le consacre et qu’il se consomme de haut. Que de belles choses venues çà et là au hasard dans une œuvre dont l’ensemble avorte, et qui périraient sans retour, si quelque Molière, quelque Mozart ou quelque Gluck ne se trouvait là fort à propos pour les recueillir ! Rossini assistait un jour à la représentation d’une mauvaise parade musicale ; tout à coup, au milieu d’un fatras de notes ridicules, une mélodie s’élève ; le maître alors tire ses tablettes et dit à son voisin, tout en écrivant la mélodie : « Laissez-moi faire, c’est trop bon pour cet imbécile. » — Toujours est-il que Mlle Loewe chante cet air de Graun avec une verve prodigieuse, une singulière intelligence du caractère de la musique, un trille incomparable, et qu’elle a dans le gosier de quoi rendre un rossignol jaloux.

L’Opéra-Comique vient encore de trouver une bonne fortune dans la partition nouvelle de M. Auber. Ceci n’est, à coup sûr, ni le Freyschütz, ni le Comte Ory, ni même le Domino Noir ; mais, en face de tant de grace et d’élégance, d’une instrumentation si ingénieuse, si vive, si parfaitement soignée en ses mille détails, d’une musique si dépourvue de prétentions et si pleine de goût, le pédantisme de la critique n’a que faire. Vous trouverez des gens qui s’échauffent la bile au seul nom de M. Auber, nous devrions dire à la seule idée de ses succès ; ces gens-là vous parleront de Don Juan à propos du Domino Noir, ou de la Symphonie en ut mineur à l’occasion des Diamans de la Couronne, comme si tout cet aimable bavardage, tant d’esprit et d’enjouement, relevaient de la poétique ordinaire. Vous aimez cette musique ou vous ne l’aimez pas ; là est toute la question. Pourquoi se disputer là dessus ? il ne s’agit pas même de couleur, tout au plus de nuances. Un grand