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tions, qu’on s’oublie soi-même au point de dépenser journellement sa verve en toute sorte de combinaisons industrielles ! Penser que, depuis la Favorite, M. Donizetti est allé à Rome, et qu’il en est revenu après y avoir laissé une partition nouvelle, une partition en trois actes, à laquelle il ne songe déjà plus sans doute, occupé qu’il est d’opéras comiques et de grands opéras qu’il prépare pour toutes les saisons de l’année ! Après le génie, qui crée à son temps, à son heure, quand sa nature le sollicite, je ne sais rien au monde de plus curieux que cette veine intarissable, toujours en humeur de se répandre en quatuors, en duos, en finales, en cavatines. Comment M. Donizetti fait-il pour penser à toutes les choses qu’il invente ? où trouve-t-il le temps, je ne dis pas de composer, mais d’écrire tant de notes ? L’idée seule d’une pareille besogne vous épouvante ; écrire, toujours écrire, sans l’inspiration, sans son ombre ; passer sa vie devant des masses de papier réglé, qu’on s’impose la tâche de couvrir dans un temps donné ; quel supplice, si ce n’était un plaisir, le plaisir de faire sa fortune ! — Ce soir, le bénéfice de Rubini nous rend Otello, et s’il faut en croire les bruits du théâtre, au milieu de cette foule de chefs-d’œuvre qui vont maintenant encombrer le répertoire pendant les dernières représentations, un opéra nouveau pour nous doit se glisser, la Vestale de Mercadante. La Vestale de Mercadante, cela ne sonne-t-il pas étrangement aux oreilles ? Il y a des sujets que le génie de certains hommes a tellement consacrés, qu’on a peine à imaginer que d’autres les abordent. Se figure-t-on un Don Juan de Meyerbeer, un Otello de Bellini ? Refaire la Vestale, quelle idée ! Quand de pareilles fantaisies vous passent par la tête, il faut s’y prendre comme Gluck ; autrement, on s’expose à tomber dans le ridicule. Lutter avec M. Spontini, cela se conçoit ; mais choisir pour terrain la Vestale, son chef-d’œuvre, le seul qu’il ait écrit dans sa longue carrière si agitée, il y aurait de quoi s’étonner, s’il ne s’agissait de Mercadante, c’est-à-dire, d’un brave Italien qui n’y voit pas malice. L’auteur d’Elisa e Claudio cherchait sans doute un prétexte à cavatines ; le poème de M. de Jouy lui sera tombé par hasard sous la main ; voilà tout le secret. D’ailleurs, aux Italiens on fait bon marché du poème. Oublions-le pour cette fois encore, et, si la musique est ingénieuse et bien tournée, applaudissons-la, ni plus ni moins que s’il était question des Brigands ou du Giuramento du même maître, quittes à revenir à Spontini lorsqu’on nous parlera sérieusement de la Vestale. — À propos de M. Spontini, quelle activité nouvelle l’enflamme donc, quelle humeur tracassière le possède ? Il n’est question dans les gazettes allemandes que de ses griefs et de ses réclamations fastueuses. À l’entendre, on dirait qu’il va faire un procès au roi de Prusse, tout cela parce qu’on a le malheur de ne plus goûter sa musique à Berlin. Il entre, à ce qu’il paraît, dans les attributions de M. Spontini, maître de chapelle de la cour, d’écrire tous les deux ans trois grands opéras dont l’administration supérieure se charge de lui fournir les poèmes. Or, depuis l’échec malencontreux d’Agnès de Hohenstauffen, l’intendant de sa majesté élude autant qu’il peut cette clause ruineuse pour le théâtre : de sorte que, chaque fois qu’il prend fantaisie à l’illustre auteur de