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où la roche s’ouvre, et laisse un passage au chasseur assez heureux pour se trouver dans cette partie de la montagne ; mais ce chasseur ne peut pénétrer dans ce vallon que seul, et sous condition de respecter les animaux qui l’habitent. S’il résiste à la tentation de se servir de son arme, il gardera toute sa vie un souvenir délicieux du spectacle qui l’aura frappé ; à l’avenir toutes ses chasses seront heureuses, tous ses coups porteront, même ceux qu’il tirera les yeux fermés. Les noms des hommes qui, tous les vingt ans, ont visité cette retraite, sont gravés sur les arbres gigantesques qui ombragent ces beaux pâturages. On y voit les noms des empereurs confondus avec ceux des simples chasseurs. Les chroniqueurs ajoutent qu’un de ces visiteurs, n’ayant pu résister à la tentation de ramasser la peau d’un bouquetin qui gisait à terre et de l’emporter avec lui, en fut cruellement puni. Jamais, depuis lors, un seul de ses coups ne porta ; sa poudre ne brûlait pas, ses balles fondaient, son arme crevait. Un jour on le trouva mort au fond d’un précipice ou il était tombé en poursuivant un chamois.

La grande majorité des habitans de ces montagnes croit également aux fantômes et aux sorciers. La veille d’une mort, un spectre, disent-ils, vient inévitablement regarder à la fenêtre de la personne qui doit mourir. Si les volets sont fermés, les volets s’ouvrent d’eux-mêmes ; si la chambre est placée à l’étage le plus élevé de la maison, le corps du spectre s’allonge jusqu’à ce qu’il atteigne à la fenêtre. Dans ce pays pauvre les moindres parcelles de terre ont une valeur et à ce propos les villageois ont d’autres traditions bizarres. Celui qui a tenté d’agrandir son champ aux dépens du voisin, en déplaçant une borne, est condamné à habiter de toute éternité cette borne, contre laquelle les animaux déposent de préférence leurs ordures, et que heurte le hoyau du laboureur ou le soc de sa charrue. Les feux follets qui dansent le soir dans la campagne, ce sont les ames des arpenteurs de mauvaise foi, qui sont condamnés à errer sur les limites qu’ils ont frauduleusement déterminées.

Les habitans des Sette Communi sont généralement robustes. Leur stature élevée, l’ovale oblong de leur visage, leurs yeux bleus, leurs traits prononcés, et qui cependant ne manquent pas d’une certaine douceur, indiquent clairement une origine septentrionale ; origine thuringienne ou cimbrique, peut-être même tout simplement allemande ou tyrolienne, mais peu facile à déterminer. Leur langue est singulière ; c’est un mélange de l’allemand, du slave, de l’italien et